Et maintenant, je suis ici :

mardi 23 février 2010

Les flots d'un soir clair

J'ai le corps qui se penche contre la balustrade du balcon et l’âme qui flanche dans un mouvement qui serait inspiré, et qui le sera peut-être si je parviens à retenir ces mots qui coulent entre mes doigts et se perdent dans mes vêtements battus par la brise, dans les brumes de Delhi à minuit. J’attends celui qui devrait venir, ou non je n’attends pas, je guette, car on n’attend pas quelqu’un qui viendra forcément. Les baraques sombres où quelques vêtements abandonnés sur les cordes à linge hésitent à tomber sont désertées par leur marée d’enfants illettrés mais joueurs, les cris secs des femmes maigres se sont tus, les toits sont déserts, le silence est plein. Je serre un châle du Cachemire qui frissonne sur mes épaules liquides et je m’imagine perdue dans des eaux sombres qui disent vouloir me perdre mais qui me feront retrouver ces mots, doux peut-être, ces mots d’où ? Je n’écrivais pas et je ne pense pas savoir écrire, mais au moins je glisse et je cherche pour me raccrocher à la terre ici où je ne connaissais rien. J’aimerais avoir la plume d’un Pierre Loti, et faire vivre Delhi comme il fit vivre Istanbul, et aller voir Istanbul, aussi. Je dis « je » comme si je savais ce que ce contenant contient, et comme si ces mots étaient miens, mais les mots se renversent, se mélangent et dérivent, je ne sais plus, je vais aussi devoir repartir, et chercher encore.

vendredi 19 février 2010

Back to Agra, sorry

Me voilà repartie sur le chemin d’Agra, car comment refuser à Adrien nouveau venu en Inde l’accomplissement du fantasme ultime d’admirer le Taj Mahal, celui qui lui permettra de mourir en paix ? Nous sommes partis en train, avec des billets durement obtenus et négociés, avec les quatre invités d’Elliot qui avaient juste avant colonisé le salon pendant quatre jours. Mais voilà, Agra, je commence à connaître, et je ne vais pas vous imposer une deuxième rafle de photos conventionnello-touristiques du Taj. Alors, changement de point de vue (kaléidoscope est mon motto) et suivons les pas et le regard de notre nouveau guide, le fier et distingué Adrien.

Visite d’abord du Fort Rouge au pas de course juste avant le coucher du soleil (qui coïncide avec l’heure de fermeture de tous les monuments musulmans), passionnante pour tous les autres de par la qualité du site, et rendue hilarante par l’humour burlesque et (plus ou moins) raffiné du sieur Adrien.




La suite de cette nouvelle exploration d’Agra, c’est le
lendemain matin, avec un lever à 5h (mes paupières préparent une mutinerie) et une traversée de l a Yamuna pour voir le Taj au lever du jour depuis l’autre berge, puis retraversée pour une visite du Taj avant l’arrivée massive des touristes – mais pas encore assez tôt à mon goût, j’aurais aimé voir le Taj dénudé de son manteau opaque de touristes.
Ensuite, un petit déj’ bien mérité mais dérogeant a toutes les regles de la restauration, mais bon, on était installés sur un rooftop juste en face du Taj…



By the way, petite remarque qui n’intéressera surement que les initiés et les schnoufiens : “Aladdin” de Disney est censé se passer en Arabie (“O nuiiiiits d’Arabiiiie, mille et une foliiiiies…”) mais beaucoup d’éléments sont plutot indiens et donnent au final un mélange assez ambigu : le tigre s’appelle Rajah, le marche juste derriere le palais me rappelle certaines cités indiennes (mais on pourra me répondre que les villes du Moyen-Orient et d’Inde ont beaucoup de traits communs). Mais surtout, jetez un coup d’oeil a cette photo, et vous conviendrez avec moi qu’on se croirait avec Aladdin sur les toits du quartier pauvre d’Agra-bah, en train d’admirer le palais.


Adrien découvre le train indien

Pour son premier voyage en train en Inde, Adrien a expérimenté le choc que j’ai aussi expérimenté la première fois, et que tous mes prochains invités expérimenteront à leur tour. Je n’avais encore jamais pris le temps de décrire photographiquement cette fameuse “sleeper class”, mais voilà l’occasion trouvée.


C'est pas le grand luxe, hein... Compartiments bondés et regards rivés sur nous autres candides Blancs, couchettes superposées sans assez d'espace pour s'asseoir et assimilables à des planches, propreté douteuse... Mais le prix est parfait et l'expérience assez intense pour tout routard qui se respecte, et aussi pour tout étudiant un peu fauché, alors libres à nous de nous déclarer inscrits dans les deux catégories !

mardi 16 février 2010

Adrien s'intègre

"Alleeeeez Adrien s'il te plaîiiit prête-moi 50 roupies pour prendre le rickshaaaaaw...!!!" (Marine éplorée)

Nous avons premièrement la preuve qu'Adrien a su se rendre indispensable en à peine deux jours ; deuxièmement, qu'il a tout compris aux logiques monétaires et religieuses de l'Inde ; et troisièmement, et ultimement, qu'il a déjà su se faire considérer comme un dieu vivant.

New Delhi part 2 : क़ुतुब मीनार (Qutub Minar)

Adrien est descendu parmi nous ! Petite virée à l'aéroport pour la peine, et depuis une maison pleine de monde, car il n'est pas notre seul invité. Il est difficile de se frayer un chemin dans le salon ces jours-ci... Adrien a donc commencé ses explorations indiennes, et j'essaye autant que possible d'en profiter avec lui, mais c'est difficile car je suis submergée de boulot ce semestre. On a quand même pu aller visiter le Qutub Minar, un monument musulman construit au XVIIe siècle sur les ruines désossées de monuments hindous et musulmans - mais on n'est pas à un sacrilège près. Quelques photos pour la route, en attendant de voir les exploits photographiques et sociaux d'Adrien et en attendant des voyages un peu plus excitants qu'une virée en rickshaw dans le sud de Delhi !


mercredi 10 février 2010

Jaisalmer bonus

Je vous en ai parle, le voila publie pour vous mes seigneurs : 'I'm a camel man', par l'inoubliable Mister Khan de Jaisalmer !

जैसलमेर (Jaisalmer)

La longue route vers Jaisalmer est sans conteste mon plus long voyage en train, et pourtant, à quelques heures de la fin, je me sens fraîche. Les dix-sept heures de voyage ne sont pas qu’une formalité, mais j’ai passé une bonne longue nuit de sommeil malgré le gars qui ronflait de l’autre côté de la paroi et Julien qui faisait ami-ami avec les militaires en patrouille dans les compartiments. Nous nous sommes tous réveillés recouverts d’une pellicule de sable : c’est officiel, nous sommes en plein désert du Thar. L’excitation monte à la lecture des guides de voyage qui promettent safaris à dos de dromadaire, désert à perte de vue, nuits au creux d’une dune… On verra bien, en attendant j’observe le désert à travers la fenêtre du compartiment et j’écris blottie contre Piyush, malgré les regards réprobateurs des Indiens agglutinés tout autour et gardant les yeux fixés sur Marine et sur moi. Dix-sept heures de train, et même vingt, avec le retard, c’est finalement plutôt long dans une promiscuité curieuse et malsaine. retard, c’est finalement plutôt long dans une promiscuité curieuse et malsaine. L’arrivée à Jaisalmer est donc un soulagement malgré la charge des rabatteurs d’hôtels à peine avons-nous posé le pied sur le quai de la gare. Nous prenons deux rickshaws pour nos six paires de fesses, habilement négociés par notre Indien préféré. Direction le fort de Jaisalmer où nous partons à la recherche d’un organisateur de camel safaris. Après une négociation aux résultats plus que discutables et une tentative d’arnaque, nous voilà décidés pour un safari de trois jours et deux nuits à travers le désert alentour.


Départ en jeep du fort de Jaisalmer, vers les premières landes du désert qui se faisait déjà sentir aux pieds de la forteresse : elle émerge d’un océan de sable flamboyant. Là, nous trouvons nos dromadaires attitrés, et après la première aventure qui est bien sûr de grimper sur ces choses mouvantes et grognantes, direction le sud-ouest, où on sait au loin la frontière du Pakistan. Impressions dominantes : le jour qui meurt, le vent de la fin du jour qui court entre les petites roches éparses et effleure le sable clair. Quand le soleil se retire, l’ocre enflammé du sable et le bleu lavande venu d’on ne sait où donnent des nuances mordorées à chaque amoncellement de sable. Après 1h30 sur les dromadaires, en s’éloignant de la civilisation mais pas encore en la quittant tout à fait, comme nous le rappellent des éoliennes et d’imposants pylônes électriques, nous montons notre campement, ou plutôt non, ce n’est pas vraiment un campement : on dormira à la belle étoile. Lorsque la nuit se fait noire, repas rajasthanais cuisiné entre des cailloux. Puis retour auprès du grand feu qu’il faut alimenter toutes les quelques minutes, avec des chansons indiennes au rythme de clappements de mains et de percussions de fortune. Et la jupe rouge de Christie qui tourne autour du feu quand elle danse, le blanc incandescent des flammes qui mentent en bleu et en jaune dans le noir total du désert. Les visages boivent toute la lumière autour du feu ; derrière eux, l’obscurité.

Le deuxième jour, les arrière-trains s’habituent aux soubresauts des dromadaires. On apprend même à se mettre au galop sans attendre le signal et l’aide du chamelier, et puis aussi à se lancer dans des courses gagnées haut la main par les filles, merci ! Il y a de l’ambiance : l’expérience physique est sollicitante mais les rires fusent et les chameliers ont l’air d’avoir cultivé depuis des années un humour bien particulier, à coups d’anglais fleuri, de chansons et d’interpellations diverses. Ici, quelques extraits savoureux du vocabulaire de Mister Daniel.

Full power twenty-four hours!
Go, Mix Vegetables! (surnom donné à Christie)
I’m a camel man, in the bloody sand (sur l’air de “Barbie girl” d’Aqua!)
Why like this? (comprendre : « qu’est-ce qu’il se passe ? »)
No possible, then problem.
No chapatti, no tchai, no woman no cry.
1,2,3 India is free, 4,5,6 nothing to fix, 7,8,9 camel is fine.
Single boy sleeping with camel (les deux couples du groupe peuvent dormir à deux pour se tenir chaud, ce n’est pas le cas du pauvre Julien, mais une solution existe : dormir avec le dromadaire !)
Camel college without knowledge.
Camel making honeymoon bye bye (comprendre : “les dromadaires mâles ne se soucient pas de leur descendance”)
Why not, coconut !
Julienji, why camel going wrong way? (Julien avait un dromadaire quelque peu recalcitrant, une femelle refusant d’avancer dans la bonne direction tant que son petit n’était pas près d’elle)


Le désert du Thar, ce n’est pas vraiment ces immenses étendues de sable et de dunes que l’on a dans l’esprit quand on prononce le mot « désert » ou que l’on a des réminiscences du roman « L’Alchimiste ». Les cactus se mêlent aux buissons et aux roches grises, et à travers cet étrange mélange se glissent des chèvres noires, quelques vaches maigres au regard torve, et quelques très rares paysans en kurta blanche et enturbannés d’orange. On s'arrete trois ou quatre fois dans des minuscules villages ou les gens vivent de facon bien rudimentaire et ou nous faisons sensation : difficile de repartir de chaque village avec toutes nos possessions !



Lorsque la nuit tombe (si tôt !) sur nos corps courbaturés pour la seconde fois, nous sommes au milieu des seules vraies dunes de sable de ce désert. Ce soir encore, installation rudimentaire autour du feu pour le dîner et les longues discussions du soir, puis Christie danse avec ses bollasses enflammées. Et quand il fait totalement noir et que tout le monde commence à s’endormir près du feu, j’escalade la dune la plus haute avec Piyush, pieds nus dans le sable froid et sans aucune lumière pour nous guider. Un moment unique, là, sous les étoiles du désert, sur le versant d’une dune qui plonge sur un océan de sable.


Le safari se poursuit sans incident, presque magiquement, jusqu'au retour au matin du troisième jour. Nous occupons nos dernières heures à Jaisalmer en agissant comme de vrais touristes, mais un peu plus aguerris que la moyenne, en nous glissant dans les vieilles ruelles étroites, en négociant des sacs en cuir et des draps typiques de cette ville, et en nous félicitant grandement de ce très, très beau week-end.



lundi 8 février 2010

Il pleut

La pluie tombe hors saison sur Delhi. Les ruelles de Munirka se transforment en bourbiers et les petits commerçants se réfugient sur le pas de leur porte. Nous sommes revenus aujourd’hui de Jaisalmer, et après deux nuits dans le train et deux nuits dans le désert, je suis trop usée pour travailler sur mon tutorial que je suis pourtant supposer rendre demain. J’ai quand même pris une leçon de hindi aujourd’hui : Elliot a trouvé un professeur particulier qui va venir toutes les semaines à la maison. Un très bon professeur d’ailleurs, pédagogue, concis et sympathique, j’ai compris aujourd’hui beaucoup de choses restées en suspens depuis des mois, je connecte enfin des fragments de grammaire pour donner du sens à des phrases entières. Mais maintenant que je suis installée tranquille seule dans ma chambre, mes bagages à demi déballés, le son de la pluie sur les vitres et sur les grilles en métal, les écouteurs vissés sur les oreilles et essayant de classer mes photos du week-end et de transcrire mes notes de voyage en articles de blog, je suis un peu en léthargie. Une léthargie quelque peu teintée de nostalgie après quatre jours d’excitation intense, sous un ciel larmoyant, et avec dans les oreilles la musique d’Atonement, qui vient de je ne sais où (mais je crois bien que c’est Adrien qui me l’avait envoyée) et que j’ai redécouverte par hasard dans mes fichiers. Ces arpèges au piano et cette clarinette plaintive, ces couleurs glacées, ces violons qui errent dans les aigus comme un cri jamais poussé, mes rappellent que même quand je suis heureuse quelque part, quelque chose me pousse encore à aller chercher ailleurs, mue par un désir que moi-même je ne sais pas identifier.

mercredi 3 février 2010

They say I'm not his...

A tous ceux qui pensaient que mon dernier message perso sur Faceboook était lié à Piyush et à moi... Non, c'était juste une citation d'un film que j'aime beaucoup, Veer-Zaara, ça ne parlait pas de moi. Enfin quoique... Ca pourrait parler de toi, de moi, des autres, de nous tous. Et c'est bien dit.


Pigeon


C'est l'histoire d'un colis qui devait traverser les continents pour m'apporter des mots doux de ma famille, des saveurs françaises et des cadeaux de Noël. Sauf qu'il a été coincé à la frontière à cause des saveurs françaises. Sauf que j'ai déménagé et qu'à ce moment-là il n'était toujours pas arrivé et, mon ancienne propriétaire n'étant pas forcément aimable ni vraiment digne de confiance, je me suis grandement inquiétée à cause des cadeaux de Noël. Et le tout avait une grande valeur sentimentale à cause des mots doux. Alors, enquête, sur les traces dudit colis, jusqu'au bureau de poste miteux de Malviya Nagar. Alors ? Alors la propriétaire a trouvé un moyen de m'em****** sans se mouiller : réexpedié. C'était l'histoire d'un colis qui est en train de retraverser les continents, dans l'autre sens.

lundi 1 février 2010

Prise

Promis, j'essaye. J'essaye vraiment de rester en contact, d'envoyer des mails, de mettre a jour mon blog. Mais il parait qu'il est impossible de reinstaller notre modem dans Munirka village, mon nouveau quartier ou fusent les beuglements des marchands ambulants, ou les enfants jouent sur les toits, et ou tous les regards convergent vers notre rooftop quand j'etends mon linge le matin. Alors en attendant de trouver une solution, c'est squattage quotidien au cyber-cafe d'en dessous. On trouvera bien une solution, car absolument tout est negociable en Inde, meme une annee de fac (attention, a ne pas tenter), une connexion Internet, le type de relation que tu veux avec tes voisins, si t'as mal ou non, c'est toi qui geres, t'as la main sur le robinet, tu doses. Le cyber-cafe du coin, tres franchement, c'est pas ideal. Ma chaise est cassee, je suis assise en travers, j'ai un peu mal au dos a la longue, la musique Bollywood qui crie a travers les enceintes poussiereuses reussit sans peine a couvrir Rusalka que j'essaye eperdument d'ecouter sur mon lecteur MP3, la connexion est coupee toutes les 10 minutes, et puis bon, tous les meubles sont de recup, les ordis aussi surement. Une parfaite image du Tiers-Monde vu de France. Je telecharge des partitions pour mon violon, j'essaye de copier-coller des articles de blog que j'ai ecrits a l'avance et usb-enregistres - mais ca ne marche pas. Je reponds (progressivement) a mes 58 mails en retard, je me rends compte que Lyon 2 se soucie enfin de moi et repond a mes mails, j'espionne un peu la vie des autres sur Facebook - c'est pourtant vrai, la vie continue tres bien sans moi en France. Il va falloir que je me refasse une place la-bas, ca m'angoisse d'avance, j'ai peur de ne plus tres bien savoir. Try harder.