Et maintenant, je suis ici :

samedi 5 juin 2010

Népal (6) le retour : de Tansen à Delhi

Bon, là, j'avoue que c'est une longue et pénible histoire. Nous ne retiendrons, pour la postérité, que les étapes et les moyens de transport qui en firent le croustillant et le côté inoubliable - aïe.

Il faut d'abord souligner que le fait de renoncer à un trajet en avion pour le remplacer avantageusement par une aventure terrestre n'est pas un simple choix logistique : c'est un drastique changement de mode de vie. Entrons maintenant dans le vif du sujet.

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Etape 1 : Tansen-Butwal. Moyen de transport : local bus.
Il faut quand même dire que ça commence mal. Les backpacks à peine bouclés, la note à peine payée, les employés de l'hôtel qui nous regardaient d'un air étrange depuis notre arrivée, fraîches et pimpantes dans le hall d'entrée finissent par nous dire qu'il y a une grève. Une vraie grève, à la népalaise. "You must not go ! There is a strike !". Mais nous n'avons pas le choix : il fallait relier l'Inde avant le 4 juin pour attraper notre train à Gorakhpur - non pas que la perte de la somme versée pour le billet soit dramatique, mais tous les trains des jours suivants sont pleins, et notre visa népalais échoit de toute façon le 5 juin. Alors nous partons quand même, en taxi de l'hôtel au general bus stand, et c'est là que les choses se compliquent. On nous explique que la grève est concentrée sur le district de Butwal (vous vous rappelez Butwal bien sûr ?) ; or c'est justement à Butwal que nous devons aller pour ensuite continuer vers le Sud. "There's no bus today". Mais Marine aperçoit au loin un bus qui s'apprête déjà à dépasser le carrefour. "But this one, where is it going ?! - Er... To Butwal. - THEN STOOOP IT !!!". L'homme fourre ses doigts dans sa bouche et émet un sifflement suraigu qui nous perce les tympans et cloue le bus sur place. "Thanks man !!!" et nous courons vers le bus qui nous attend malgré les klaxons intempestifs. On nous demande où nous allons : "Butwal ?! But... - We know. - You're going to the border ? Ok I will arrange a solution for you".

Etape 2 : Butwal-Sunauli. Moyen de transport : cyclorickshaw.
Il y a toujours une solution. Toujours. Et dans les pires situations il y a toujours quelqu'un qui arrive à retirer son propre profit. En effet le gars du bus s'arrange pour nous trouver un plan de secours : à l'arrivée à Butwal, il nous désigne un gars à chemise rapiécée qui s'agite déjà à travers la fenêtre du bus. "You'll go with him, he'll take you to the border". L'homme en question n'est autre qu'un rickshaw-walla. "The only way to go to Sunauli when there is a strike is to take a rickshaw, but very, very expensive". En effet il réclame 1000 roupies, ou plutôt 2000 car il veut que Marine et moi nous installions chacune sur un rickshaw - le deuxième conducteur s'en frotte déjà les mains. Pas question, 2000 c'est trop, alors 1500 pour deux filles sur un seul rickshaw. Le cyclorickshaw, on avait déjà expérimenté à Old Delhi dans les artères encombrées ; mais là, il s'agit d'un trajet de 3h dans la chaleur du Teraï. L'exploitation de l'homme par l'homme ne fut jamais si bien démontrée : deux Blanches avec énormes sacs à dos conduites en rickshaw par 40° sur 60km par un homme maigrelet et ruisselant de sueur, mais ravi de faire ainsi l'affaire de l'année. Aucune photo bien sûr, le malaise est trop grand. D'ailleurs nous sommes bien trop occupées à fixer la grande route se dirigeant droit vers la frontière, désertée de tout véhicule, de tout signe de vie. Quelques humains parfois, mais surtout des drapeaux communistes, et le vide percutant plus poignant qu'une foule en colère.

Etape 3 : passage de la frontière. Moyen de transport : à pattes.
Soyons clairs, la frontière indo-népalaise, c'est le bordel. Le cyclorickshaw nous largue à distance respectueuse de la douane et des files interminables de camions qui s'y agglutinent pendant des heures. Personne ne sait vraiment où il faut aller, on sait simplement qu'il faut obtenir un tampon sur son passeport à la douane népalaise, faire vérifier son visa de l'autre côté de la frontière à la douane indienne, et changer ses roupies népalaises en roupies indiennes. Le tampon n'est pas un problème, nous sommes en règle pour les Népalais. Le douanier indien fait une drôle de tête en regardant nos visas : "So you are JNU students ? - Er... Yes, yes. -Hhhhhmmmm". Et il nous rend nos passeports d'un air soupçonneux. Pour info, à ma grande surprise, nos sacs ne sont à aucun moment vérifiés : on aurait pu faire passer n'importe quoi ! Le vrai problème, c'est de changer nos roupies. Pas moyen d'avoir un taux honnête. On finira par se contenter d'un taux plus que crapuleux juste histoire de pouvoir décamper de cette ville au plus vite.

Etape 4 : Sunauli-Gorakhpur. Moyen de transport : local bus.
Trouver un bus pour Gorakhpur est facile, car il s'agit de la première ville indienne après la frontière équipée d'une gare ferroviaire avec des trains à destination des métropoles. Au point que les compagnies de bus se livrent une concurrence sans pitié, à grand renfort de rabatteurs et de ventes de tickets à la criée. "Il est beau mon bus il est beau..!" Pas cher, donc pas confortable, hein. Les banquettes de deux personnes me paraissent singulièrement étroites ; mais quand je me retourne pour observer les voyageurs népalais, je m'aperçois qu'eux y sont parfaitement à l'aise ; je me sens exactement comme Janine dans L'Exil et le Royaume de Camus.

Etape 5 : Gorakhpur - Delhi. Moyen de transport : train.
A l'arrivée à la gare de Gorakhpur, les choses s'annoncent mal : notre train n'est pas affiché. La première fois qu'on se renseigne au guichet, c'est "I don't know". La deuxième fois, c'est "There's no such train". La troisième "Ok I'll check (...) oh yeah it's 5 hours late". On attend quelques heures en salle d'attente réservée aux femmes mais peuplée aussi bien d'hommes (l'inverse n'est pas vrai), à manger des chips, boire du Thums up (beurk...), tenter des étirements sous le regard intrigué et circonspect des mères de famille indiennes. Finalement, le train arrive alors que nous ne l'attendions pas avant au moins trois heures. Nous y montons, trouvons nos couchettes et nous y allongeons sans penser ni aux regards habituels fixés sur nous ni au fait que nous n'avons pas mangé de vrai repas depuis la veille. Une bonne nuit de sommeil plus tard, la soif se fait sentir, tandis qu'il apparaît que le train cherche à rattraper son avance : ce qui signifie qu'il arrivera finalement bien avec un retard de plus de cinq heures, totalisant à l'arrivée un trajet de dix-huit heures. Autant dire que pendant ce temps je me dessèche, surtout qu'aucun pani-walla n'a la bonne idée de passer dans notre compartiment pendant plusieurs heures. Quand finalement l'un d'entre eux passe, je me jette sur lui du haut de mon perchoir et vide plus de la moitié de la bouteille que j'achète aussitôt. Marine avait soif aussi, même si elle ne disait rien, bécasse. On est de retour dans la frange des 40°c.

Etape 6 : DELHI : gare - Connaught Place. Moyen de transport : bus.
Nous avions prévu de tenter la grande aventure entre l'extrême-est de Delhi et JNU en rickshaw, mais coup de chance, des bus coordonnés aux horaires des trains dans une organisation digne des pays développés attendent sagement en face de la gare. "Bas, bas, baaaas, CP ke lye !!!!". Direction CP donc, qui appartient elle aux terres déjà explorées et cartographiée par nous. A l'approche de cette épouvantable place insultant à la logique sociale et architecturale la plus élémentaire, nous réalisons soudain que cette fois, il -faut- manger. Et à CP, y'a un KFC. A nous les cuisses de poulet !! Quand nous faisons irruption dans le restaurant, mal coiffées, puantes, sales, avec nos énormes sacs à dos, notre première réaction est de courir aux toilettes pour une toilette élémentaire, qui n'empêche néanmoins pas les serveurs de nous fixer d'un air outragé, surtout quand nous commandons assez de nourriture pour une douzaine d'indigènes et que nous monopolisons des prises électriques pour recharger nos téléphones et passer les coups de fil de rigueur à ceux qui nous attendent. Mais dans la gêne, y'a pas de plaisir ; et là franchement, je crois que je n'ai jamais autant apprécié un repas.

Etape 7 : DELHI : Connaught Place - Jawaharlal Nehru University. Moyen de transport : autorickshaw.
Dernière étape, retour au monde connu, mais aventure toujours, dans les fameux embouteillages de Delhi. Je dépose Marine à Lajpat Nagar avant de continuer seule vers JNU, en faisant au passage amie-ami avec le chauffeur de rickshaw ravi de constater que je pouvais répondre à ses questions en hindi, ce qui le pousse à me décrire en détails toute sa vie quotidienne et tous les membres de sa famille. Arrivée à JNU vers 18H au lieu de la fin de matinée, mais on n'est plus à ça près. Le couronnement de ce voyage : la douche la plus divine de ma vie.

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Durée totale : j'ai pas compté. Deux jours, à peu près. Heureusement que ça valait la peine de revenir à Delhi avant de repartir en France, hein !

3 commentaires:

  1. Ce périple me fait mourir de rire: j'imagine le mec qui arrive dans ton compartiment avec une bouteille d'eau, et toi qui bondit de ton lit situé en hauteur.... Mouahahahah!
    Finalement, la vie indienne, c'est vraiment fait pour les roots comme toi!

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  2. La dernière photo est craquante ^^
    Et, au fait, c'est quoi la vie quotidienne du chauffeur de rickshaw alors ?

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  3. Hmm bah la vie quotidienne d'un chauffeur de rickshaw c'est pas très marrant. Il dort quasiment pas, ou alors quelques heures à l'arrière de son rickshaw. Il gagne entre 500 et 800 roupies par jour mais il en reverse les 3/4 au propriétaire du rickshaw (il est très rarement à lui). Il parle très peu anglais et sait en fait à peine lire. Il préfère les trajets courts aux trajets longs (avec un compteur à 10 rps minimum, plein de petits trajets valent mieux qu'un seul long).

    Mais celui-là il était cool, il avait trois enfants et il voulait plus tard ouvrir un commerce de ventilateurs ;-)

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