Et maintenant, je suis ici :

mardi 31 août 2010

राजस्थान (Rajasthan)

Ne remets jamais à l'année suivante ce que tu peux faire l'année-même.
Voilà un article que j'ai mis de côté pendant longtemps, puis essayé plusieurs fois de rédiger, sans grand succès : vouloir rédiger un carnet de voyage des mois après le voyage à quelque chose d'assez abscons. Ce voyage-là date du milieu du mois d'octobre, au moment de Diwali. Marine et moi, sur l'invitation de Chandrashekhar (Chandu pour la masse des intimes), avons passé une grosse semaine au Rajasthan, son état d'origine, où lui et ses soins attentifs nous ont ficelé un road-trip à l'organisation fascinante, avec voiture - imposante, chauffeur - extrêmement sympathique, multitude de contacts et d'amis à chaque étape.

Alors oui, la mi-octobre, c'est aussi juste après ma rencontre avec Piyush, et c'est aussi juste avant une période faste durant laquelle j'ai peu écrit. Je tente de me rattraper ici, presque un an après, à grands renforts de notes de voyage et de photos (qui sont exclusivement celles prises avec l'appareil photo de Marine) dans le désordre. J'ai rarement expérimenté avec autant d'acuité à quel point notre mémoire est inefficace et sélective.

------------------------------------------------------------------------------------------

Tout commence un soir d'octobre à Delhi. La nuit se fait fraîche et brumeuse quand nous traversons le campus de JNU, nous arrêtant au passage, de façon imprévue, à une exposition de photos en noir et blanc disposées entre les arbres. Un regard en arrière, un certain regret, car je pars avec la certitude qu'il ne me rappellera plus. Après quelques jours le silence se fait souvent définitif. Chandu, son petit sac à dos, Marine, son énorme sac à dos, mon énorme sac à dos et moi-même prenons place dans un rickshaw pour la Kashmiri Gate d'où part le bus de nuit pour Jaipur. Après une long temps de négociations menées par Chandu - où nous comprenons que le problème principal est que le conducteur espère se faire plus d'argent parce que nous sommes blanches - nous montons dans le bus plutôt confortable où nous avons payé assez d'argent pour obtenir des couchettes. Les couchettes-susdites sont des sortes de sarcophages vitrés... Marine et moi en prenons une pour deux, fermons la vitre teintée noire du côté du couloir pour éviter les regards fixés sur nous depuis l'entrée dans le bus et ouvrons celle du côté route pour éviter la sensation latente de claustrophobie. Quelques heures d'un sommeil relatif plus tard, c'est l'arrivée à Jaipur, la capitale du Rajasthan.

Day 1 : जयपुर (Jaipur)
Le quartier de la gare à Jaipur n'a rien d'accueillant, et Chandu y découvre à ses dépens ce que signifie voyager en compagnie de deux filles blanches. Nous sommes dévisagés, interpellés toutes les quelques secondes, ce qu'il n'a jamais expérimenté auparavant. Nous traversons une partie de la ville à pieds pour trouver une guesthouse. Celle choisie finalement ne dispose que de chambres petites, blanches et très simples, mais d'un rooftop spacieux et délicatement éclairé. Après quelques heures de sommeil Chandu va passer un examen de l'armée qui est la raison pour laquelle Jaipur est notre première étape, et à son retour nous faisons connaissance avec notre voiture (gigantesque, bordeaux, équipée d'une TV) et notre chauffeur Hanif (jovial, musulman, ne parlant pas un mot d'anglais). En ce premier après-midi nous visitons le centre historique de Jaipur où s'encombrent monuments assiégés par la civilisation moderne, bazaars, échoppes, véhicules de tous genres. Le parvis du Hawa Mahal, le palais des vents, est tellement encombré de circulation et d'échoppes qu'il est difficile d'en avoir un bon aperçu en photo. La visite elle-même est captivante, et, point non négligeable, le palais n'a pas usurpé son nom : la disposition audacieuse de ses couloirs fait circuler un vent frais rassérénant dans la chaleur encore torride de Jaipur. S'ensuivent les visites (embrouillées) du City Palace, et de Jantar Mantar, le jardin-observatoire astronomique de Jaipur où nous sommes assaillies de toute part. Alors que la nuit tombe, nous pénétrons dans Amer fort qui se vide déjà de ses touristes. Dans la faible lumière des torches de la cour, un groupe d'écolières en uniforme se dirige vers le temple hindou protégé par le fort, où une célébration a lieu. En redescendant de la colline du fort, on aperçoit, au milieu du lac Man Sagar, la silhouette presque abandonnée du Jal Mahal, l'ancien palais d'été des princes rajputs, dont les lumières nocturnes strient encore fièrement le lac.

Le soir, de retour à la guesthouse, nous rencontrons une jeune Anglaise farfelue qui a plaqué son boulot il y a plus d'un an et voyage depuis tout ce temps aux frais de son père. "Then I might go to Australia, I don't know". Le dîner sur le rooftop s'accompagne d'un numéro de marionnettes effectués par des gamins de la ville, avec comme apothéose la version rajasthanaise de "Frère Jacques". Dans la nuit douce notre regard se porte sur les toits illuminés de la ville où la craie et le grès dominent, et sur les murs peints d'un rose patiné par les siècles qui donnent à Jaipur son surnom de "ville rose". Ce soir-là nous rencontrons aussi Sunil, notre nouveau compagnon de voyage appelé par Chandu. Au matin, lors du trajet entre Jaipur et Ajmer, c'est la première plongée en voiture dans la campagne rajasthanaise.

Day 2 :
अजमेर (Ajmer) + पुष्कर (Pushkar)
Passer directement de Jaipur à Ajmer signifie passer radicalement d'une ambiance à l'autre : si Jaipur est une des capitales des Rajputs, haut lieu historique hindou, Ajmer est une ville musulmane depuis le VIIe siècle, qui a vu passer les invasions musulmanes, la domination des sultans de Delhi puis des Moghols. C'est aussi un haut lieu de pèlerinage pour les Musulmans, qui viennent par milliers, y compris de l'étranger, pour visiter le Dargah Sarif, la tombe du Gharib Nawaz, le plus célébré des saints soufis. Alors avant même que nous descendions de la voiture, les garçons nous enjoignent d'enfiler des t-shirts à manches longues et de porter un foulard sur la tête. L'atmosphère religieuse est palpable, autant qu'à Rome. La ville entière semble converger vers la mosquée qui abrite les reliques du saint. L'artère qui y mène est emplie de flower-stalls qui vendent des guirlandes de roses, de pétunias et de soucis à disposer en offrande dans la mosquée ; d'autres échoppes vendent des étoffes brodées d'écritures dorées en ourdou et en arabe, que les fidèles tiendront sur leur tête en s'agenouillant devant le reliquaire dans la mosquée. La foule est compacte, sombre et parfois agressive : des dizaines de mendiants souvent horriblement mutilés rampent dans l'allée de la mosquée. Beaucoup d'entre eux portent des blessures similaires donnant la certitude qu'ils ont été volontairement mutilés. Des familles entières, vêtues de noir ou de blanc, se dirigent pieusement vers les marches où sont déposées des centaines de paires de sandales, et appareil photo ou caméra doit être déposé dans une des échoppes avant l'entrée. Difficile de se tenir à part de l'ambiance électrique qui règne à l'intérieur. Des complaintes, des cris, des prières résonnent dans les murs de pierre sculptée tandis qu'un mouvement indescriptible pousse la foule, comme un seul homme, dans la même direction. Dans la salle où trône la tombe du saint, difficile de se frayer un passage dans la foule agenouillée et couronnée de tissus brodés. On jette sur la tombe des guirlandes de fleurs, de l'eau sacrée, des soufis réclament quelques roupies pour exprimer une prière particulière. Le temps coule différemment ici : pour le divin des siècles de vénération coulent dans les murs de la mosquée, mais les humains sont entraînés dans un flot furieux qui les laisse épuisés en sortant de ce lieu saint.
Raison de plus en sortant de la mosquée pour aller visiter un lieu tout aussi musulman mais nettement moins survolté, auquel on accède tout en haut d'une des collines d'Ajmer après la traversée d'une ruelle encombrée de magasins, de dhabas, de cyclorickshaws, et après la montée d'un escalier de pierre irrégulier qui serpente entre d'autres échoppes aux murs recouverts de tissus brodés représentant la mosquée d'Ajmer ou parfois celle de Médine ou de Jérusalem. Ce monument où des gens sont recueillis en face du mur de qiblah est la plupart du temps ignoré par les pèlerins : ici, des familles viennent se recueillir ou passer une journée reposante. Selon la légende locale, cette ébauche de mosquée a été édifiée en deux jours, ce que ne manquent pas de nous rappeler la grappe d'enfants aux multiples démonstrations affectueuses qui s'accrochent à nous, fascinés par notre couleur de peau sans doute.
Encore plus haut sur les collines d'Ajmer se situe le fort de Taragarh, seule illustration locale de l'architecture rajpoute, dont la partie la plus importante n'est malheureusement pas ouverte au public. Dominant la ville et ses alentours (et de haut : lorsque je grimpe sur un reste de fortification pour admirer la vue, les garçons ne manquent pas de protester à hauts cris), il comporte aussi sa propre mosquée, un mausolée construit en hommage à un soldat musulman s'étant illustré au combat.
Sur la route au sortir d'Ajmer, une belle découverte : le Soniji ki Nasia, une merveille méconnue de l'architecture jaïne, une étape imprévue qu'on ne décide de visiter qu'après avoir aperçu depuis la route un étrange rayonnement intense et cuivré sortant d'une bâtisse sinon banale. Une salle entière remplie de maquettes et miniatures étincelantes et féériques représentant le l'univers selon la cosmologie jaïne, que l'on admire, comme à l'extérieur de cette bulle onirique, depuis un couloir de verre en mezzanine.
Nous allons passer la nuit à Pushkar que, malgré la belle réputation de la ville, nous n'avons pas le temps de vraiment visiter. Sunil a un ami qui tient une étrange guesthouse dans une des plus petites ruelles basses de la ville : un bâtiment étroit, enserré entre deux grandes demeures, dont les étages semblent s'empiler sans fin. Avec ses chambres proprettes, son autel hindou à chaque étage et sa décoration d'affiches de rock, la guesthouse ressemble à un repaire pour hippies. La nuit est déjà tombée lorsque nous sortons dans les ruelles éclairées seulement par la lumière des quelques échoppes encore ouvertes. En longeant les ghats, nous tombons sur le Gau Ghat, émouvant de blancheur dans cette ville ocre, ensemble de temples de Shiva plongeant dans le lac sacré de Pushkar. Un peu plus, dans une impasse, trône le temple de Brahmâ (que nous n'aurons pas l'occasion de visiter), qui fait la particularité la plus importante de Pushkar : nulle part ailleurs Brahmâ n'est aussi vénéré. Selon la mythologie hindoue, dans le lac de Pushkar les dieux ont fait tomber un cygne sacré portant un lotus destiné à Brahmâ, qui devait alors effectuer un rituel sacrificiel.

Day 3 : चित्तौडगढ (Chittaurgarh)

Après l'arrivée à Chittaurgarh ce matin-là, la journée -entière- est consacrée à la visite de l'énorme complexe fortifié qui domine la totalité de la ville.
Fortins, tours, temples, jardins, portes, lieux sacrés s'enchaînent sans fin. La visite du musée dès l'arrivée nous permet de replacer l'histoire de ce lieu dans une histoire à la fois glorieuse et sanglante. S'il s'agit du plus grand fort rajput du Rajasthan, il fut aussi la proie d'attaques musulmanes successives lors desquelles, lorsque la défaite ne faisait plus de doute, des milliers de femmes de guerriers, de vieillards et d'enfants se jetèrent dans des bûchers pour échapper à l'humiliation d'un emprisonnement (ou pire). La rânî Padmini est particulièrement présente dans les noms de monuments, Padmini Garden, Padmini Palace, et même "Cave in which Queen Padmini used to come and take bath", comme dans une fière nostalgie de cette princesse qui décida d'échapper aux convoitises d'un envahisseur musulman en se jetant dans les flammes, suivie par toutes les femmes du palais.
Portant le poids de ces siècles d'histoire douloureuse, nous partons après la visite vers le campus scolaire où Chandu et Sunil ont étudié avant d'entrer à l'université à Delhi. Un campus d'école militaire, strict et ordonné du moins en apparence, où pas un bruit ne se fait entendre. Ils tiennent absolument à rendre visite à une de leurs anciens professeurs pour laquelle ils ont une affection teintée de vénération. Cette femme vénérée ne daigne pas adresser, ni à Marine ni à moi, un mot ou même un regard de toute la visite. Les garçons tenteront de la justifier en nous disant qu'elle ne parle pas anglais - mais pour avoir déjà passé des mois en Inde, nous savons qu'on n'a pas besoin de mots pour donner un accueil chaleureux. Ses deux enfants et surtout son fils sont eux nettement plus accueillants et nous distraient de leurs galipettes et facéties (au grand dam de leur mère).
Merci Chandu, Sunil et leurs souvenirs nostalgiques pour cette soirée, qui se termine en beauté lorsque nous nous rendons compte que la chambre que nous occupons pour la nuit dans la "Parents guesthouse" du campus est dans un état effarant. L'humidité s'infiltre de partout, les draps sont sales, habités par de joyeuses colonies d'insectes divers, et il vaut mieux ne pas décrire la cauchemardesque salle de bains. Mais pas question de se plaindre aux garçons qui sont ravis d'être là et qui occupent la chambre d'à côté. Le soir, nous passons le plus de temps possible à discuter sur les gradins du stade de cricket voisin. Le matin, nous sommes prêtes bien avant eux - ce qui les estomaque suffisamment pour qu'ils comprennent ce qui se passe.

Day 4 : उदयपुर (Udaipur)

La journée du lendemain promet d'être de meilleur augure, surtout parce que nous sommes accueillis par des amis de Sunil et Chandu, une famille charmante qui ne sait plus quoi faire pour nous faire plaisir. Des débats sur la cuisine française ("But, if it is neither spicy nor sweet, it is... TASTELESS !") à une projection de Tom & Jerry en hindi avec les enfants, nous passons tout notre temps libre avec eux. Quelques expériences gustatives intéressantes, en particulier quand Marine se force à vider sa coupelle d'un flanc orange extrêmement sucré servi en entrée au point que notre hôte lui en ressert une coupelle, et que je m'efforce de garder mon hilarité discrète autant que possible - jusqu'à ce que je me rende compte que le plat principal est bourré de coriandre. Et si Marine ne supporte pas les sucreries indiennes, je ne supporte pas la coriandre. A chaque fois que je me moque de Marine je suis punie dans les cinq minutes qui viennent, ça doit venir de sa vénération outrancière pour Ganesh. Bref donc, nous voilà à Udaipur, "la ville des lacs", "la cité des princes", à la fois encombrée et sereine de beauté. C'est à Udaipur que les Rajputs transfèrent leur capitale après que Chittaurgarh est devenue trop difficile à défendre. Des multiples palais qui trônent au-dessus de la ville bleue et de ses lacs, nous ne visitons que le City Palace, le principal, dont l'architecture force au romantisme et dont chaque recoin est une découverte. Dans chaque salle un thème différent est déployé avec splendeur, le rubis pour le Manak Mahal, les perles pour le Moti Mahal, les miroirs pour le Sheesh Mahal... Difficile de se retrouver dans ce labyrinthe de palais qui s'enchaînent et débouchent soudain sur des jardins ; mais on s'y perd avec plaisir tandis que le soleil commence à décroître.
C'est justement avec ce crépuscule que Chandu nous prépare une magnifique surprise de fin de journée : un téléphérique se hisse sur le haut d'Udaipur, par la dorsale de la colline, vers le Karni Mata Temple. De là, on a droit à la plus belle vue d'Udaipur, ses palais, temples et lacs Fatah Sagar, Swaroop Sagar et Pichola enserrés par les montagnes qui furent jadis la raison du choix d'Udaipur comme capitale du rajputanat.

Day 5 : जोधपुर (Jodhpur)

Le trajet d'Udaipur à Jodhpur est le plus long du voyage : il faut traverser par l'intérieur presque la moitié du Rajasthan, un trajet loin de toute route vraiment fréquentée. Nous passons un certain temps à regarder des clips Bollywood tandis que Hanif me surnomme officiellement Rangeeli, "la colorée", pour mes sarouels et châles éclatants et pour ma façon sans doute de rire à chacune de ses facéties. J'ai vraiment la preuve que l'amitié n'a besoin pour naître d'aucun espace commun ni d'une langue commune. Je ne le reverrai sans doute jamais après ce voyage, il ne parle pas ma langue et je parle mal la sienne, et pourtant je sens avec lui une vraie complicité. D'autre part il montre des dispositions certaines au français, répétant phonétiquement des phrases entières sans la moindre erreur. Sunil, lui, a toujours du mal à prononcer même mon nom qui donne plutôt "Guéééli". Le long voyage, autant prétexte à la rêverie qu'à l'aventure, est ponctué de péripéties. Dans les routes étroites (surtout en traversant des villages) la grosse voiture ne circule qu'avec peine et il est facile d'apprendre à ces moments-là comment se faire haïr par toute une population qui investit les rues commerciales pour préparer Diwali. D'autre part, devant l'absence totale de panneaux, Hanif doit s'arrêter toutes les cinq minutes pour demander le chemin, remerciant d'un signe de tête mais redemandant quelques centaines de mètres plus loin par mesure de sécurité. En dehors des villages, l'ocre du sable s'étend et s'élargit en déserts qui se perdent, derrière des rochers et des arbres qui se tordent comme suffoquant. De longues files de dromadaires menés par des hommes au turban jaune, vert, orange, rose ou rouge glissent sur les pistes où des femmes en sari rouge marchent pieds nus, gracieuses malgré la chaleur et les roches coupantes, avec des fagots sur la tête, suivies par quelques chèvres bêlantes. A l'arrivée à Jodhpur, nous nous rendons avant tout à Umaid Bhawan palace, où nous attend Clément, un ami français de Delhi. La visite du palais nous déçoit, car, si une petite partie est aujourd'hui un musée, le reste n'est pas même visitable : il s'agit désormais d'un hôtel particulier.
Le fort de Mehrangarh, lui, est une excellente surprise. D'abord, la vue sur le fort depuis notre guesthouse est loin d'être désagréable. Et au moment de la visiter, il apparaît qu'il restauré régulièrement et est mis en valeur d'une façon rare pour les sites touristiques indiens, au point que nous louons un audio-guide extrêmement bien conçu pour la visite, qui nous apprend toutes sortes de détails plus ou moins connus mais ici expliqués extensively. En particulier pour le code de couleurs au Rajasthan, que je connaissais dans les grandes lignes mais qui a bien plus de charme dans le détail :
* pour Diwali, on s'habille en bleu canard.

* pour un mariage, la femme est en rouge et l'homme en safran.

* pour des obsèques, l'assistance est habillée de blanc ou de teintes ternes de vert ou de bleu, tandis que le défunt est exclusivement enveloppé de blanc.
* juste avant la mousson, les nobles portent la couleur des nuages.
* pour Holi, tout le monde s'habille de vêtements blancs à bordure rouge.
L'audio-guide s'attarde aussi longuement sur la déesse Gangaur, patronne de Jodhpur, dont une représentation est vénérée ici depuis le XVe siècle. Elle est un avatar de la déesse Parvati que les femmes mariées prient pour qu'elle prête longue vie à leur époux, et un festival de 18 jours a lieu en avril en son honneur, festival dont le dernier jour était autrefois le théâtre d'une longue procession menée par le maharaja lui-même. Cette statue est un trésor inestimable, symbole de l'honneur du fort et cible constante de pillages...

Après la visite du fort nous prenons notre temps pour redescendre les escaliers qui plongent dans la ville bleue, arrêtés au passage par des groupes d'enfants ou des collectionneurs de billets anciens, qui se font un plaisir en entendant que certains de nous sont français de nous montrer des billets français du XIXe siècle.

Days 6, 7, 8 :सांखु (Sankhu)

La dernière étape du voyage n'est autre que Sankhu, le petit village de Chandu où sa famille nous reçoit pour Diwali. Après une nuit sur les chapeaux de roue avec la conduite souple et rapide de Hanif qui commençait quand même à se ressentir de la fatigue au point de nous faire dire par Chandu qu'il fallait lui taper sur l'épaule de temps en temps et chanter pour le tenir éveillé (rassurant), nous arrivons éreintés dans ce petit village propret où la famille entière nous reçoit à bras ouverts. Après les présentations en rajasthani et en hindi, un petit déjeûner de thé amer et de chapatis, c'est le moment des tristes adieux avec Hanif qui va rendre la voiture à son propriétaire à Jaipur. Puis pour nous, ce sera le moment d'un repos bien mérité...
Au réveil, la maman de Chandu, au corps sec et élégant dans le sari traditionnel que portent toutes les femmes du village nous attend avec encore du tchai et des chapatis. La conversation est lancée, hésitante souvent, mais toujours pleine de bonne volonté. Puis on nous fait faire le tour du village où la famille Jakhar nous présente voire nous exhibe avec fierté : c'est la première fois sans doute que des étrangers viennent ici. Dans chaque maison, on nous pose à chaque fois les mêmes questions, mais on nous accueille aussi partout avec la même générosité, et avec le même verre de tchai. Et pendant ce temps, les préparatifs de Diwali se font sentir : toutes les femmes s'occupent de préparer le repas du soir tandis que les autres membres des familles préparent les guirlandes, bougies et lanternes qui décoreront le village le soir même.
Le village qui n'avait jusque-là jamais vu d'étrangers est ce soir servi : d'autres amis de JNU, allemands ceux-là, arrivent en jeep en fin de journée. La mère de Chandu refuse néanmoins toute aide pour préparer un repas pour plus de 15 personnes. Mais avant le repas se tient la puja (prière) récitée par le père de famille dans la cuisine devant une représentation de Ganesh, que tout notre groupe d'intrus écoute sans pour autant en comprendre un mot. Après ça, vient le moment des réjouissances, celles qui font courir les enfants dans les rues et retentir des explosions de pétards de toute part. Prendre part à la fête, c'est alors allumer quelques pétards, recevoir les bénédictions d'inconnus souriants, admirer le village éclairé de centaines de bougies du haut d'un rooftop... J'ai aussi, moi, dans la cour de la maison éclairée par les bougies à la flamme mourante, droit à une part de la magie de Diwali en recevant vers minuit un appel que je n'attendais plus et qui marque le début d'une belle histoire. La célébration continue le lendemain lors de la puja au temple du village, où nous nous rendons avec la famille de Chandu et d'autres familles voisines. Pour l'occasion, pour faire plaisir à Chandu et surtout à ses sœurs (et par extension à tout le village) je porte mon sari bleu acheté à Kota, drapé par une des sœurs de Chandu selon la mode locale : en faisant en sorte qu'un pan de tissu cache entièrement et pudiquement le ventre. Je suis bientôt imitée par une de nos Allemandes que la sœur de Chandu habille aussi comme une poupée d'un beau sari rouge. Lors de cette célébration puis la matinée qui s'ensuit, nous sommes toujours le clou du spectacle, mais sans curiosité malsaine, sans envahissement. Nous sommes plutôt des hôtes de marque que chacun tient à saluer, et nous avons notre place dans tout ce qui fait vivre le village.
Les Allemands et notre Cléminou adoré partent dès l'après-midi tandis que nous restons un jour de plus. Si notre groupe entier était celui d'un groupe de marque, nous sommes les favorites, de nouvelles filles pour cette famille déjà nombreuse. Les albums photos sont ouverts, on nous parle de toute la famille, de ce que fait ou souhaite chacun. Le frère du père, qui habite en face, vient souvent, et chacune de ses apparitions soulève une vague d'enthousiasme. Il a en effet une aura et un humour peu communs. Malgré le magnifique accueil qu'on nous réserve, je ne peux m'empêcher de m'insurger contre les traditions pesant sur les femmes ici : en présence d'un homme d'une autre maison, les femmes mariées se couvrent le visage de leur sari et ne parleront que quand l'homme s'en ira. Le récit de nos vies, d'ailleurs, fait vive impression sur la sœur de Chandu qui se demande comment nous pouvons jouir d'une telle liberté. Les invitations dans diverses maisons s'enchaînent au point qu'elles deviennent lassantes et que nous finissons par refuser d'aller voir une énième cousine éloignée habitant de l'autre côté du village. Nous décidons de partir, rien que toutes les deux, en balade à travers champs, à la grande inquiétude du père qui voit le jour tomber. Le chemin de l'extrémité du village serpente à travers des champs de culture unique, d'une couleur flamboyante. Le désert, déjà ici, se fait sentir. Après une petite heure de marche nous parvenons à une maisonnette où quelqu'un nous interpelle. Il veut que l'on vienne boire le tchai avec lui, il parle parfaitement anglais, sa femme est charmante, nous acceptons ; il ne se passe pas cinq minutes avant que le père de Chandu n'arrive, inquiet du crépuscule approchant, comme s'il savait parfaitement où nous trouver. C'est au matin suivant qu'il faut partir en jeep pour Jaipur pour y prendre un bus pour Delhi. Les adieux sont émouvants, et la famille nous offre à chacune (comme aux autres filles parties la veille) un sari traditionnel. Bénédictions, étreintes avec les deux sœurs, photos-souvenirs... J'espère que mon chemin des prochaines années me donnera l'occasion de revenir ici.


1 commentaire:

  1. Si si j'ai enfin prit le temps de le lire ce bien beau billet, quelles photos, quel dépaysement!

    RépondreSupprimer