Ne remets jamais à l'année suivante ce que tu peux faire l'année-même.
Voilà un article que j'ai mis de côté pendant longtemps, puis essayé plusieurs fois de rédiger, sans grand succès : vouloir rédiger un carnet de voyage des mois après le voyage à quelque chose d'assez abscons. Ce voyage-là date du milieu du mois d'octobre, au moment de Diwali. Marine et moi, sur l'invitation de Chandrashekhar (Chandu pour la masse des intimes), avons passé une grosse semaine au Rajasthan, son état d'origine, où lui et ses soins attentifs nous ont ficelé un road-trip à l'organisation fascinante, avec voiture - imposante, chauffeur - extrêmement sympathique, multitude de contacts et d'amis à chaque étape.
Alors oui, la mi-octobre, c'est aussi juste après ma rencontre avec Piyush, et c'est aussi juste avant une période faste durant laquelle j'ai peu écrit. Je tente de me rattraper ici, presque un an après, à grands renforts de notes de voyage et de photos (qui sont exclusivement celles prises avec l'appareil photo de Marine) dans le désordre. J'ai rarement expérimenté avec autant d'acuité à quel point notre mémoire est inefficace et sélective.
Voilà un article que j'ai mis de côté pendant longtemps, puis essayé plusieurs fois de rédiger, sans grand succès : vouloir rédiger un carnet de voyage des mois après le voyage à quelque chose d'assez abscons. Ce voyage-là date du milieu du mois d'octobre, au moment de Diwali. Marine et moi, sur l'invitation de Chandrashekhar (Chandu pour la masse des intimes), avons passé une grosse semaine au Rajasthan, son état d'origine, où lui et ses soins attentifs nous ont ficelé un road-trip à l'organisation fascinante, avec voiture - imposante, chauffeur - extrêmement sympathique, multitude de contacts et d'amis à chaque étape.
Alors oui, la mi-octobre, c'est aussi juste après ma rencontre avec Piyush, et c'est aussi juste avant une période faste durant laquelle j'ai peu écrit. Je tente de me rattraper ici, presque un an après, à grands renforts de notes de voyage et de photos (qui sont exclusivement celles prises avec l'appareil photo de Marine) dans le désordre. J'ai rarement expérimenté avec autant d'acuité à quel point notre mémoire est inefficace et sélective.
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Tout commence un soir d'octobre à Delhi. La nuit se fait fraîche et brumeuse quand nous traversons le campus de JNU, nous arrêtant au passage, de façon imprévue, à une exposition de photos en noir et blanc disposées entre les arbres. Un regard en arrière, un certain regret, car je pars avec la certitude qu'il ne me rappellera plus. Après quelques jours le silence se fait souvent définitif. Chandu, son petit sac à dos, Marine, son énorme sac à dos, mon énorme sac à dos et moi-même prenons place dans un rickshaw pour la Kashmiri Gate d'où part le bus de nuit pour Jaipur. Après une long temps de négociations menées par Chandu - où nous comprenons que le problème principal est que le conducteur espère se faire plus d'argent parce que nous sommes blanches - nous montons dans le bus plutôt confortable où nous avons payé assez d'argent pour obtenir des couchettes. Les couchettes-susdites sont des sortes de sarcophages vitrés... Marine et moi en prenons une pour deux, fermons la vitre teintée noire du côté du couloir pour éviter les regards fixés sur nous depuis l'entrée dans le bus et ouvrons celle du côté route pour éviter la sensation latente de claustrophobie. Quelques heures d'un sommeil relatif plus tard, c'est l'arrivée à Jaipur, la capitale du Rajasthan.
Le quartier de la gare à Jaipur n'a rien d'accueillant, et Chandu y découvre à ses dépens ce que signifie voyager en compagnie de deux filles blanches. Nous sommes dévisagés, interpellés toutes les quelques secondes, ce qu'il n'a jamais expérimenté
auparavant. Nous traversons une partie de la ville à pieds pour trouver une guesthouse. Celle choisie finalement ne dispose que de chambres petites, blanches et très simples, mais d'un rooftop spacieux et délicatement éclairé. Après quelques heures de sommeil Chandu va passer un examen de l'armée qui est la raison pour laquelle Jaipur est notre première étape, et à son retour nous faisons connaissance avec notre voiture (gigantesque, bordeaux, équipée d'une TV) et notre chauffeur Hanif (jovial, musulman, ne parlant pas un mot d'anglais). En ce premier après-midi nous visitons le centre historique de Jaipur où s'encombrent monuments assiégés par la civilisation moderne, bazaars, échoppes, véhicules de tous genres. Le parvis du Hawa Mahal, le palais des vents, est tellement encombré de circulation et d'échoppes
qu'il est difficile d'en avoir un bon aperçu en photo. La visite elle-même est captivante, et, point non négligeable, le palais n'a pas usurpé son nom : la disposition audacieuse de ses couloirs fait circuler un vent frais rassérénant dans la chaleur encore torride de Jaipur. S'ensuivent les visites (embrouillées) du City Palace, et de Jantar Mantar, le jardin-observatoire astronomique de Jaipur où nous sommes assaillies de toute part. Alors que la nuit tombe, nous pénétrons dans Amer fort qui se vide déjà de ses touristes. Dans la faible lumière des torches de la cour, un groupe d'écolières en uniforme se dirige vers le temple hindou protégé par le fort, où une célébration a lieu. En redescendant de la colline du fort, on aperçoit, au milieu du lac Man Sagar, la silhouette presque abandonnée du Jal Mahal, l'ancien palais d'été des princes rajputs, dont les lumières nocturnes strient encore fièrement le lac.





Day 2 :अजमेर (Ajmer) + पुष्कर (Pushkar)
Passer directement de Jaipur à Ajmer signifie passer radicalement d'une ambiance à l'autre : si Jaipur est une des capitales des Rajputs, haut lieu historique hindou, Ajmer est une ville musulmane depuis le VIIe siècle, qui a vu passer les invasions musulmanes, la domination des sultans de Delhi puis des Moghols. C'est aussi un haut lieu de pèlerinage pour les Musulmans, qui viennent par milliers, y compris de l'étranger, pour visiter le Dargah Sarif, la tombe du Gharib Nawaz, le plus célébré des saints soufis. Alors avant même que nous descendions de la voiture, les garçons nous enjoignent d'enfiler des t-shirts à manches longues et de porter un foulard sur la tête. L'atmosphère religieuse est palpable, autant qu'à Rome. La ville entière semble converger vers la mosquée qui abrite les reliques du saint. L'artère qui y mène est emplie de flower-stalls qui vendent des guirlandes de roses, de pétunias et de soucis à disposer en offrande dans la mosquée ; d'autres échoppes vendent des étoffes brodées d'écritures dorées en ourdou et en arabe, que les fidèles tiendront sur leur tête en s'agenouillant devant le reliquaire dans la mosquée. La foule est compacte, sombre et parfois agressive : des dizaines de mendiants souvent horriblement mutilés rampent dans l'allée de la mosquée. Beaucoup d'entre eux portent des blessures similaires donnant la certitude qu'ils ont été volontairement mutilés. Des familles entières, vêtues de noir ou de blanc, se dirigent pieusement vers les marches où sont déposées des centaines de paires de sandales, et appareil photo ou caméra doit être déposé dans une des échoppes avant l'entrée. Difficile de se tenir à part de l'ambiance électrique qui règne à l'intérieur. Des complaintes, des cris, des prières résonnent dans les murs de pierre sculptée tandis qu'un mouvement indescriptible pousse la foule, comme un seul homme, dans la même direction. Dans la salle où trône la tombe du saint, difficile de se frayer un passage dans la foule agenouillée et couronnée de tissus brodés. On jette sur la tombe des guirlandes de fleurs, de l'eau sacrée, des soufis réclament quelques roupies pour exprimer une prière particulière. Le temps coule différemment ici : pour le divin des siècles de vénération coulent dans les murs de la mosquée, mais les humains sont entraînés dans un flot furieux qui les laisse épuisés en sortant de ce lieu saint.

Day 3 : चित्तौडगढ (Chittaurgarh)
Après l'arrivée à Chittaurgarh ce matin-là, la journée -entière- est consacrée à la visite de l'énorme complexe fortifié qui domine la totalité de la ville.

Day 4 : उदयपुर (Udaipur)
La journée du lendemain promet d'être de meilleur augure, surtout parce que nous sommes accueillis par des amis de Sunil et Chandu, une famille
charmante qui ne sait plus quoi faire pour nous faire plaisir. Des débats sur la cuisine française ("But, if it is neither spicy nor sweet, it is... TASTELESS !") à une projection de Tom & Jerry en hindi avec les enfants, nous passons tout notre temps libre avec eux. Quelques expériences gustatives intéressantes, en particulier quand Marine se force à vider sa coupelle d'un flanc orange extrêmement sucré servi en entrée au point que notre hôte lui en ressert une coupelle, et que je m'efforce de garder mon hilarité discrète autant que possible - jusqu'à ce que je me rende compte que le plat principal est bourré de
coriandre. Et si Marine ne supporte pas les sucreries indiennes, je ne supporte pas la coriandre. A chaque fois que je me moque de Marine je suis punie dans les cinq minutes qui viennent, ça doit venir de sa vénération outrancière pour Ganesh. Bref donc, nous voilà à Udaipur, "la ville des lacs", "la cité des princes", à la fois encombrée et sereine de beauté. C'est à Udaipur que les Rajputs transfèrent leur capitale après que Chittaurgarh est devenue trop difficile à défendre. Des multiples palais qui trônent au-dessus de la ville bleue et de ses lacs, nous ne visitons que le City Palace, le principal, dont l'architecture force au romantisme et
dont chaque recoin est une découverte. Dans chaque salle un thème différent est déployé avec splendeur, le rubis pour le Manak Mahal, les perles pour le Moti Mahal, les miroirs pour le Sheesh Mahal... Difficile de se retrouver dans ce labyrinthe de palais qui s'enchaînent et débouchent soudain sur des jardins ; mais on s'y perd avec plaisir tandis que le soleil commence à décroître.

Day 5 : जोधपुर (Jodhpur)
Le trajet d'Udaipur à Jodhpur est le plus long du voyage : il faut traverser par l'intérieur presque la moitié du Rajasthan, un trajet loin de toute route vraiment fréquentée. Nous passons un certain temps à regarder des clips Bollywood tandis que Hanif me surnomme officiellement Rangeeli, "la colorée", pour mes sarouels et châles éclatants et pour ma façon sans doute de rire à chacune de ses facéties. J'ai vraiment la preuve que l'amitié n'a besoin pour naître d'aucun espace commun ni d'une langue commune. Je ne le reverrai sans doute jamais après ce voyage, il ne parle pas ma langue et je parle mal la sienne, et pourtant je sens avec lui une vraie complicité. D'autre part il montre des dispositions certaines au français, répétant phonétiquement des phrases entières sans la moindre erreur. Sunil, lui, a toujours du mal à prononcer même mon nom qui donne plutôt "Guéééli". Le long voyage, autant prétexte à la rêverie qu'à l'aventure, est ponctué de péripéties. Dans les routes étroites (surtout en traversant des villages) la grosse voiture ne circule qu'avec peine et il est facile d'apprendre à ces moments-là comment se faire haïr par toute une population qui investit les rues commerciales pour préparer Diwali. D'autre part, devant l'absence totale de panneaux, Hanif doit s'arrêter toutes les cinq minutes pour demander le chemin, remerciant d'un signe de tête mais redemandant quelques centaines de mètres plus loin par mesure de sécurité. En dehors des villages, l'ocre du sable s'étend et s'élargit en déserts qui se perdent, derrière des rochers et des arbres qui se tordent comme suffoquant. De longues files de dromadaires menés par des hommes au turban jaune, vert, orange, rose ou rouge glissent sur les pistes où des femmes en sari rouge marchent pieds nus, gracieuses malgré la chaleur et les roches coupantes, avec des fagots sur la tête, suivies par quelques chèvres bêlantes. A l'arrivée à Jodhpur, nous nous rendons avant tout à Umaid Bhawan palace, où nous attend Clément, un ami français de Delhi. La visite du palais nous déçoit, car, si une petite partie est aujourd'hui un musée, le reste n'est pas même visitable : il s'agit désormais d'un hôtel particulier.

* pour Diwali, on s'habille en bleu canard.
* pour un mariage, la femme est en rouge et l'homme en safran.
* pour des obsèques, l'assistance est habillée de blanc ou de teintes ternes de vert ou de bleu, tandis que le défunt est exclusivement enveloppé de blanc.
* juste avant la mousson, les nobles portent la couleur des nuages.
* pour Holi, tout le monde s'habille de vêtements blancs à bordure rouge.

Après la visite du fort nous prenons notre temps pour redescendre les escaliers qui plongent dans la ville bleue, arrêtés au passage par des groupes d'enfants ou des collectionneurs de billets anciens, qui se font un plaisir en entendant que certains de nous sont français de nous montrer des billets français du XIXe siècle.
Days 6, 7, 8 :सांखु (Sankhu)
La dernière étape du voyage n'est autre que Sankhu, le petit village de Chandu où sa famille nous reçoit pour Diwali. Après une nuit sur les chapeaux de roue avec la conduite souple et rapide de Hanif qui commençait quand même à se ressentir de la fatigue au point de nous faire dire par Chandu qu'il fallait lui taper sur l'épaule de temps en temps et chanter pour le tenir éveillé (rassurant), nous arrivons éreintés dans ce petit village propret où la famille entière nous reçoit à bras ouverts. Après les présentations en rajasthani et en hindi, un petit déjeûner de thé amer et de chapatis, c'est le moment des tristes adieux avec Hanif qui va rendre la voiture à son propriétaire à Jaipur. Puis pour nous, ce sera le moment d'un repos bien mérité...