Et maintenant, je suis ici :

lundi 23 novembre 2009

La prison de pensées

I miss my freedom. On penserait que le plus grand sacrifice auquel on doit consentir lorsqu'on choisit de partir loin, très loin, est celui de se priver de passé, de devoir soudain tout observer avec des yeux neufs, le souffle aussi coupé que celui du nouveau-né, mais ça, c'est un préjugé, le genre de choses que l'on pense quand on regarde un film quelconque sur les migrants vers le Nouveau Monde. Un préjugé non pas parce que c'est inexact, mais parce que c'est incomplet. On oublie ou on ne sait pas encore qu'il suffit de quelques semaines pour se faire à son nouveau contexte, son nouvel arrière-plan. Je suis caméléon, électron libre qui a trouvé cellule à laquelle s'accrocher. Mais ce à quoi on n'avait pas pensé, c'est que plus on avance sur ce chemin-là, en apprenant les coutumes, la langue, les relations sociales, plus on recule sur un autre chemin. Peut-être que je ne parle que de l'Inde, ou bien que de moi. Mais je ne me sens pas libre ici. "Diego libre dans sa tête", bien sûr, mais les limitations sont réelles.

Première limitation, la plus tangible : mon corps est prisonnier des traditions. Pas question de montrer mes jambes, mes épaules ou mon décolleté à moins de vouloir publiquement confirmer tous les stéréotypes orientaux sur la femme blanche pervertie. Parce que, parlons-en, de ça aussi : je suis blanche, et même presque blonde, ce qui veut dire qu'on me regarde beaucoup, même trop - prison de regards profonds, que je suis une fille facile, que je suis très riche, et forcément, que je suis facile à arnaquer. Etre blanche au milieu de peaux sombres, vous pensez que ça ressort moins que d'être noir dans un pays de visages pâles ? Non, ça ressort tout autant, et à cet instant où les couleurs sont inversées, blanc sur noir au lieu de noir sur blanc, on comprend ce que doivent ressentir ces "Noirs", ces "Maghrébins" qui vivent "chez nous" et qu'on a peut-être toujours considérés comme des voisins ou des camarades de classe voire des amis, comme les autres, mais qui ne reçoivent pas toujours ce même regard de tout le monde. Voilà, c'est ça. A l'intérieur de la JNU, je suis une étudiante, peut-être un peu particulière, mais pas exceptionnelle ; à l'extérieur, je suis une curiosité, un animal étrange, parfois fascinant, souvent dérangeant. Un objet sexuel ou une bête sauvage, voilà les deux extrêmes : je suce ou je mords. Pourtant, malgré cette prison de regards, qui m'inculpent d'étrange-té, de féminité et d'accumulation de richesses occidentales, je suis plus libre que ces jeunes Indiennes qui n'osent pas sortir seules après 19h et qui, encore aujourd'hui, sont souvent promises à un mariage arrangé. C'est juste que c'est pas évident de débarquer dans ce monde-là et encore moins d'y rester longtemps, à cause de ce chemin inverse.

Mais est-ce que je le vis bien ? "Quand on lit ton blog on n'a pas du tout l'impression que tu es malheureuse". Je ne le suis pas. Definitely. J'ai construit mon univers ici, ma petite vie, par beaucoup de points plus intéressante que ma vie à Lyon, avec mes cours, mes fréquents voyages, mes amis, Indiens et autres, et même avec un amoureux. J'ai tracé mon chemin, il ne passe presque plus que par là où j'ai envie de passer. Je réutiliserais bien ici cette image de funambule que j'aime tant. Cette funambule-là se concentre sur chacun de ses pas, sur le fil qu'elle a tendu au-dessus d'endroits qu'elle a toujours voulu explorer, et elle maîtrise suffisamment ces pas maintenant pour ressentir un plaisir et une satisfaction intenses chaque fois qu'un pied dépasse l'autre. Autour d'elle dansent les lumières de la piste et des scènes belles et lumineuses enfermées dans des bulles de savon formées par M. Autremonde, en bas. Mais parfois, en équilibre sur un pied, elle regarde un peu plus loin et l'époque où elle pouvait courir d'un bout à l'autre de la piste lui manque. Violemment. Dans la vraie vie, en dehors de cette métaphore qui ne plaît peut-être qu'à moi, ça donne : pouvoir sortir seule, ne dépendre de personne pour me déplacer, ne jamais avoir peur des regards qu'on me jette, m'habiller comme bon me semble, me promener le long d'une rivière où personne n'a encore pensé à jeter des immondices, conduire en me disant que j'ai peut-être une chance d'échapper à la mort sur la route, évoluer dans une ville à dimensions humaines, aussi.

Parce que la plus grande prison, c'est Delhi. Auriez-vous pu concevoir que l'on se sente aussi prisonnier dans une ville couvrant un espace aussi immense ? Si vous connaissez les statistiques démographiques de Delhi, oui, peut-être ! Mais surtout, Delhi n'a rien d'une ville faite pour être habitée par des êtres humains. Urbanisme de méta-humains ! Il est impossible de flâner dans les rues de Delhi, elles ne sont pas faites pour ça. Il faut prendre un rickshaw, et ça comme vous le savez, c'est toute une aventure. Les quartiers sont gigantesques et enserrent autant de belles demeures que de slums. La place principale de la ville, Connaught Place, est une diabolique machination destinée à vous rendre fous : une immense place circulaire où vous n'avez aucun point de repère ! Bien sûr certains quartiers sont sympas et surtout le campus de JNU est très agréable. Mais si je dois revenir en Inde plus tard - et je le ferai sans doute car oui, j'ai ce pays dans la peau - ce ne sera pas à Delhi. Dans le Sud, peut-être.

Alors voilà, depuis le niveau de mon nombril jusqu'à celui de la vie dans la gigantesque capitale indienne, je me sens un peu oppressée, limitée. Presque en cage. Heureusement, certains barreaux sont dorés. Et puis, d'ici à peine deux semaines je m'en vais faire une cure de liberté dans un pays encore plus lointain : à moi la Nouvelle-Zélande !

3 commentaires:

  1. Vole, petit oiseau ! 'Va falloir regongler tes batteries de sweat freedom. Très jolie photo.

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  2. un petit coup de blues mon ange ? à toi la Nouvelle Zélande et la réalisation de tes rêves,on pense à toi très fort,
    maman guillaume et Julien

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  3. Mouais, une vie plus intéressante qu'à Lyon... j'espère quand même que j'suis plus intéressant que de nombreux indiens!
    J'attend la carte de NZ, signée par Gaggy et le Kiwi! j'te kiffe!

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