Et maintenant, je suis ici :

mardi 1 septembre 2009

And your face was revealed out of the blank paper

Une bonne dose de temps et un grand renfort de sortilèges, voilà ce qu'il faut pour forcer le papier à révéler ton visage. Le bloc de papier à dessin est à la fois grand, léger et encombrant. A la surface de la feuille beige à grains que je détache pour rechercher ton visage, mes doigts glissent et distinguent des petites entailles, de fines griffures qui se superposent comme un prétentieux palimpseste : l'ombre de tous les dessins précédents, ces visages croisés au fil de mes voyages. Je taille mes crayons, et la sciure s'enfuit sur le carrelage au gré de l'air brassé par le ventilateur de plafond. J'inspire profondément et je commence. Doucement d'abord, parce que je ne veux pas graver les erreurs d'un premier jet dans le papier. Une chanson de Renan Luce dans les oreilles. Mon crayon erre dans les limbes, je pense à un roman que j'ai lu dans mon enfance, où il y a une fille du désert enveloppée de sombre qui s'enfonce dans la nuit pour partir sur les traces d'un fennec. Finalement je trouve la forme d'un oeil, mais je ne saisis pas le regard, qui reste dans la pénombre. "Tu veux du riz ?" Je sursaute. "Pas faim". Ma coloc hausse les épaules. Je relie entre elles de petites étoiles qui rient et virevoltent, se refusant à se laisser prendre au filet de la forme définitive. Tiens, Renan Luce a été remplacé par Janis Joplin... Le mode random fait parfois des transitions étranges.

Le hasard gouverne aussi le tracé de ma main qui s'énerve de ne pas trouver les bonnes lignes ou les bons reliefs. Je jette un nouveau sort qui agit un peu trop bien et efface les bonnes comme les mauvaises lignes. Je bous intérieurement, et là en plus c'est pas des blagues, parce qu'en vrai, il fait trop chaud dans l'appart. Une petite rasade de Pepsi, la boisson du brave, en admirant du coin de l'oeil la tenture ronde brodée de miroirs indiens qui suffit à elle seule à transformer cette chambre en un petit foyer, et je réessaye. Plus je me concentre sur ton visage et plus il recule dans mon esprit, la mise au point ne se fait plus. Je ne vois plus que certaines expressions isolées. Kaléidoscope. Le tissu brodé fixé sur le mur ondule au gré du ventilo, les miroirs et les paillettes dorés scintillent et s'évanouissent. Alors je ferme les yeux et je tente un nouvel enchantement, tout simple. Je laisse venir à moi un souvenir précis de toi, et quand il arrive face à moi, je lance un filet qui en emprisonne l'essence. Les contours sont encore flous, mais ça y est, j'ai trouvé l'expression, la chaleur des traits, le plus important en somme. Cette fois le mode random a déniché une chanson de Three Doors Down, dont le rythme soutenu et les lourdes basses m'encouragent. Tiens, j'ai un peu faim cette fois. Il reste un peu de riz.

Maintenant que je sais où je vais je n'ai plus besoin d'apprivoiser les petites étincelles qui s'enfuyaient tout à l'heure de la ligne juste. Le riz est un peu gluant et trop chaud, il me brûle la langue. Je remplis les blancs et j'affine les lignes, je corrige tous les détails qui mentent. Mes jambes sont un peu engourdies, je profite de ce moment de satisfaction pour les étendre et me rends compte qu'elles se sont affinées, rapport au régime alimentaire indien sans doute (mon royaume pour un repas dans un bouchon lyonnais... Ou pour une tartiflette... Ou pour une tarte aux pommes... Ou pour un gâteau au chocolat préparé par Elodie...). Le dessin a colonisé l'espace blanc de la feuille qui maintenant ne paraît plus exagérément grande, mais juste de la taille qu'il fallait pour accueillir un visage qui se refusait à se montrer. Random toujours, cette fois, ambiance rétro romantique "It's still the same old story / A fight for love and glory / A case of do or die / The world will always welcome lovers / As time goes by...". Les mots de Sinatra sonnent décalés, et même plus, obsolètes, ou alors je ne vis pas dans le même monde. Je reviens à mon rectangle de papier cartonné. Juste ce qu'il fallait.

1 commentaire:

  1. Ce qui me fait incidemment penser au fait que tu me DOIS quelque chose (remember, permis, papiers parvenus à temps etc etc...)

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