Et maintenant, je suis ici :

mardi 25 mai 2010

Népal (2) Chitwan National Park

Quittons maintenant la ville, les temples, et aussi la fraîcheur. Ce fameux Chitwan National Park se situe dans le Teraï, et juste un petit rappel rien que pour rire :

Le Teraï, c'est là où c'est vert, donc plat. Vraiment plat. En jaune, c'est les collines. En marron, ça commence à être haut. Et en blanc, très haut, trop haut d'ailleurs, on n'ira pas (mais la prochaine fois je serai une trekkeuse surentraînée et j'irai). En gros, de Kathmandou à Chitwan on passe sans transition de la moyenne montagne à la plaine aride, et on se prend dix-quinze degrés de plus dans la figure.

Quitter Kathmandou d'ailleurs est une grande aventure. Il s'agit d'abord de traverser la métropole encombrée, polluée et anarchique. Et ensuite, on se retrouve en dehors de l'agglomération d'un seul coup, en faisant un saut dans la végétation mais surtout un plongeon depuis des hauteurs vertigineuses : on domine des falaises, des pentes très inclinées où la rocaille n'est pas apparente. Tout est très vert même si la végétation est variée, d'une forêt de sapins aux senteurs fraîches et salées à une jungle équatoriale et humide en seulement cinq heures de bus. La route serpente dangereusement à flanc de montagne, on dépasse souvent des véhicules accidentés, le bus est parfois en roue libre juste avant un virage en coude, et les paysages de cultures en terrasses et les maisons à étages empilés rythment le voyage.

A l'arrivée à Chitwan, une bonne dizaine de rabatteurs d'hôtels attendent comme des vautours, et nous nous félicitons pour une fois de voyager en package organisé et de leur échapper. Le trajet jusqu'au cottage se fait dans une jeep des plus antiques, sur des chemins non goudronnés à travers des villages aux nombreux toits de paille. L'impression que les Népalais sont plus accueillants que les Indiens commence à sérieusement se confirmer, et notre chambre se révèle propre et confortable. Une visite dans un village Tharu est organisée, intéressante même si les connaissances historiques de notre guide sont à vérifier (lui, ça ne le choquerait peut-être pas d'entendre que Mumtaz Mahal est morte dans un accident de voiture - référence), surtout sur les raisons de la migration de cette population d'Inde, mais il en sait long sur la faune et la flore. Vient le moment émouvant de notre première rencontre avec les éléphants que nous allons bientôt monter - il paraît qu'il faut y aller progressivement.

La rivière qui marque l'entrée de Chitwan National Park n'est pas loin, nous poursuivons donc à pieds jusqu' ce qu'une grosse goutte, chargée d'électricité il semblerait, tombe sur mon épaule, annonciatrice de l'énorme déluge qui s'abat quelques secondes plus tard. Les touristes s'enfuient en jeep ou se réfugient sous les abris de paille qui sont loin d'être une grande consolation face à ce vent et cette grêle. L'humeur se fait électrique elle aussi, surexcitée. Les flaques d'eau montent de plusieurs centimètres en quelques minutes, le rideau de pluie devient impénétrable, le vert de la végétation devient flou, puis le déluge s'enfuit quelques minutes et nous profitons de l'éclaircie pour nous précipiter vers l'hôtel, pieds nus dans les flaques et les ruisseaux de boue.

Le lendemain le réveil est dur à 6h du matin, au point que nous nous taillons déjà une solide réputation de retardataires. Notre petit groupe part à pieds jusqu'à la rivière où nous prenons place sur une longue barque effilée rappelant les shikaras cachemiris. Dans le jour encore clair, la plaine du Teraï, si plate que cela semble surnaturel, s'étire dans un dégradé de vert jusqu'aux montagnes dans leur lissé bleu sombre. Le but affiché de l'expédition est d'observer la faune de la rivière, et les races d'oiseaux sont multiples et leurs noms oubliables, sauf peut-être le Marabou, oiseau soi-disant extrêmement rare mais aperçu plusieurs fois pendant la journée. Beaucoup de martins-pêcheurs aussi, dont le plongeon énergique froisse tout à coup la surface lisse de la rivière. Cet immense espace plat comme un carrom fait que le moindre relief apparaît comme un défaut, et que le moindre signe de vie, animal ou humain, est un message qui résonne dans ce monde vert et bleu.

Soudain le guide nous indique deux petits triangles sombres qui dépassent de la surface de l'eau et nous enjoint le silence. Nous finissons par réaliser qu'il s'agit des yeux d'un crocodile... "This one is not eating French breakfast !", merci, contentes de le savoir... Après la rencontre du gentil crocodile mangeur de poisson, le gavial (en voix d'extinction selon Wiki-bible), nous poursuivons avec une marche d'une heure à travers la jungle. Nous n'apercevons pas d'autres animaux, mais le passage d'une végétation à l'autre est suffisamment fascinant en lui-même, comme le passage d'une végétation luxuriante, aux arbres hauts, tordus et garnis de lianes, abritant de multiples termitières, à une soudaine clairière à l'herbe rase et à la lumière féérique, encadrée par des arbres fins mais hauts comme des cathédrales.

Après cela c'est l'heure du elephant bathing, sport local sans doute si on en juge par la description de la chose : il s'agit de grimper tout habillé sur le dos de l'éléphant trônant au milieu de la rivière et de jouer avec lui pour rendre ludique l'heure du bain, à grand renfort de basculements inopinés dans l'eau et d'arrosages par trompe. Comme sur le logo d'Eléphant Bleu en France. Et puis ça permet de briser la glace.

Car c'est ensuite le moment du fameux safari à dos d'éléphant. Pour monter dessus, pas grand effort, on passe par une rampe comme un maharaja fainéant, et je jalouse violemment le driver qui grimpe sur la tête de l'éléphant en passant par la trompe. Nous sommes quatre plus le driver sur l'éléphant, autant dire que le confort est limité - finalement je plains le maharaja obligé de parader des heures sur ce perchoir. Nous traversons la rivière où jouent des enfants du village, et pénétrons dans la réserve dans la lumière de la fin d'après-midi. Après seulement quelques minutes, un paon à la roue bleu roi se plante sur notre chemin ; le silence est total à part le pas lourd des éléphants sur le tapis de feuilles plus larges que la main ; une biche s'élance, et plus loin un troupeau entier de cerfs. Un mouvement presque irréel car seulement entraperçu, mais qui laisse dans le coeur une empreinte à la fois lourde et aérienne. Sentiment d'être privilégié. Lorsqu'un rhinocéros est aperçu par le driver, l'observation se transforme presque en chasse pour entourer l'animal d'éléphants chargés de touristes. L'éléphant est le pire ennemi du rhinocéros, rappelez-vous Babar et Rataxès. Pas de tigre donc, la chance n'a pas été de notre côté, mais de celui de quelqu'un d'autre le matin même, peu après l'aube.

Le troisième jour est celui du départ avec néanmoins une petite gâterie au passage, une descente en rafting. Nous partons tôt en bus local pour nous rendre au point de départ. Cette première expérience de bus local est d'abord rafraîchissante, loin du confort aseptisé (mais relatif quand même) des bus pour touristes : décoration de guirlandes fantasques et colorées oscillant au rythme des ornières et des virages en coude, pas un seul touriste, musique népalaise ou Bollywood. Cependant la réjouissance est courte : après seulement quelques minutes chaotiques le bus s'arrête sur le bas-côté. Pneu crevé. Il nous faudra peu de temps pour comprendre que dans ce type de routes et de relief alliés à un matériel quelque peu archaïque ce genre d'incident est plus que commun. Voilà pourquoi nous étions les seules à être surprises voire incommodées, hein. "Five minutes waiting", ce sera bien plus bien sûr, et pourtant pour une raison inconnue je n'ai pas le réflexe de sortir me dégourdir les jambes et je préfère en profiter pour écrire un peu, écrasée par le siège de devant et calée par mon backpack. Après au moins une heure d'attente et de réparations observées de près par Marine armée de son appareil de photo devant une fenêtre du bus - elle fut ainsi le témoin privilégié du transport d'un phacochère dans un sac à dos, nous voilà repartis. Comme toujours le trajet est chaotique d'autant plus que le chauffeur semble vouloir rattraper son retard. Peine perdue d'ailleurs, mais qu'importe nous devons de toute façon attendre deux heures de plus sur place, deux Anglaises arrivent encore plus en retard que nous, sûrement au moins deux crevaisons.

Le bateau de rafting nous attend sagement en contrebas au bout d'un chemin rocailleux qui rejoint le torrent. Pendant qu'un couple d'Indiens de Chandigarh enfile laborieusement un gilet de sauvetage, par-dessus la kurta blanche pour Monsieur et par-dessus l'ensemble kamiz pour Madame à l'enthousiasme débordant, viennent les recommandations d'usage, dont la plus mémorable reste "If you fall in the water, don't grab the Sandeep otherwise Sandeep is swimming too" (Sandeep étant le petit gars en kayak chargé de ramer à la rescousse d'éventuels naufragés). Les rapides se font attendre mais l'enthousiasme pour le paysage est lui immédiat. La rivière exhibe une belle couleur "caramel" (dixit Marine et elle est près de la vérité) et serpente entre les flancs de montagne dans leur habituel dégradé bleu et vert. Parfois une langue de route chargée de camions bariolés, enguirlandés et bruyant apparaît dans un virage dégagé en hauteur ; des quinconces de maisons étagées se bousculent jusqu'au bord des falaises ; des escaliers taillés dans la roche coulent jusqu'aux berges d'un blanc sablonneux. La descente de presque deux heures fait s'alterner eau à peine ridée et rapides écumants. Madame de Chandigarh a tendance à systématiquement ramer dans le sens inverse tout en réprimandant les autres, tandis que Monsieur de Chandigarh est trop occupé à s'exclamer "Kitna maaza lag raha hai !" (c'est vraiment trop fun !) pour ramer efficacement. Quand le courant le permet, je suis toujours la première à basculer en arrière pour nager un peu. J'aime la sensation de flotter sans effort à la surface d'un courant autoritaire. Monsieur de Chandigarh aussi, d'ailleurs sous l'eau il a un peu les mains baladeuses. Un rapide plus important que les autres finit par le faire tomber, juste punition - mais il ne tombe qu'à l'intérieur du bateau, dommage. Régulièrement, de longs et fins ponts de corde s'étirent d'un côté de la rivière à l'autre, suspendus dans les airs, presque irréels de fragilité, et sont traversées par des femmes chargées de lourds paniers remplis de branchages ou de rocailles et dont le poids est supporté par le front. "Paddle High Five", tel est le rituel qui s'installe après que chaque rapide a été vaincu...

Après la fin du rafting, le séchage et le pique-nique, le rafting-chef chercher à nous refourguer à un bus local - après tout, on nous a promis de nous faire amener à Pokhara. Après une heure on y réussit enfin. Pas de crevaison cette fois, une change, mais toujours les mêmes hauteurs retrouvées après le Teraï et les mêmes soucis de circulation. A Pokhara, ville touristique par excellence, j'ai du mal à garder mon sang-froid devant tous ces rabatteurs d'hôtel qui nous harcèlent. Nous finissons par trouver une mignonne chambre dans une guesthouse, non loin de la rue "à tentations" remplies de la gamme d'articles à acheter au Népal, et non loin d'un restaurant aux lanternes de papier où nous dégustons un steak de buffle. Ça vaut bien le bœuf, et ça évite les deux ans de prison prévus pour le meurtre d'une vache...

4 commentaires:

  1. Hmmm du buffle! Et t'en as pas ramené!!?? Au fait c'est quoi un "pleu crevé" ?? ;)

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  2. Comment s'en sont sortis les deux Indiens, au rafting ?

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  3. Aha voilà une remarque qui vaut bien que je rajoute quelques phrases à mon paragraphe sur le rafting, Caro ;-)

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  4. Loooool ! "C'est vraiment fun !", c'est le cas de le dire... :-)

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