Et maintenant, je suis ici :

samedi 1 mai 2010

Violence du noir et blanc

Sans vouloir parler seulement de la pluie et du mauvais temps, il pleut toujours. En fin de journée aujourd'hui encore l'atmosphère s'est alourdie, chargeant l'air de tant de particules électriques que je n'ai même pas eu besoin de mettre le nez dehors pour sentir l'orage arriver. D'abord, la pellicule tourne au mauvais sépia, les couleurs sont trop chaudes et saturées, puis en quelques secondes, au vent des énormes nuages noirs et perlés d'éclairs, l'obscurité surgit, noir de jais, noir d'oubli. Je suis fascinée par cet orage de poussière qui reste lointain mais qui déchire le ciel d'explosions, d'éclairs. Il suffit évidemment de quelques minutes pour que l'électricité saute, mais c'est pour le mieux, c'est dehors que tout se passe.

Et là, juste au moment où je dois partir, la première goutte tombe, ronde et luisante, et s'écrase dans un bruit plus impressionnant que celui du tonnerre dans la ruelle sombre et poussiéreuse. Je presse le pas quand je pressens que cette fois l'averse ne sera pas courte, enchaînant des pas maladroits sur le sol défoncé. La ruelle serpente entre les minuscules échoppes où les marchands, les clients, les enfants, se pressent autour de bougies prestement tirées des tiroirs, et qui révèlent à leur tour d'autres couleurs. C'est la première fois que je remarque ce violet lilas sur le mur du marchand de samosas sur lequel s'étendent les ombres de deux enfants installés sur une petite étagère. Première fois aussi que je distingue le jaune au fond de l'échoppe du barbier. Et toutes ces couleurs chez le marchand de recharges de téléphone, qui continue à faire de bonnes affaires à la lueur de deux tiges de cire. Et toutes ces silhouettes mouvantes à contre-jour des bougies dans les ruelles rapidement boueuses.
Les pieds vissés dans mes Converse et Muse vissé sur les oreilles, je fraye mon chemin vers le campus, ou plutôt non, les autres fraient leur chemin en essayant de m'éviter. Une montée d'adrénaline, quelque chose, je ne sais pas, "Uprising" et le frisson du tonnerre sur ma colonne vertébrale. Mes pas frappent le sol, le reste de mon corps ignore la pluie ou bien s'en réjouit. Phares blancs presque jaunes des rickshaws, rouille sombre aux reflets mats des motos abandonnées sur le bord de la route, et tous ces gens, tous identiques, silhouettes noires quand l'orage retient son souffle, visages blancs et vides lorsque l'éclair reprend. Il y a juste ce grand Sikh au turban noir qui se différencie, presque effrayant avec sa grande stature et son regard qui croise le mien. Je marche, toujours, je n'arrive pas à savoir si je vais trop vite - "Uprising" a le tempo parfait pour fuir ou affronter un orage de nuit noire ; je crois que j'ai mal aux pieds mais qu'importe. Deux Musulmans en kurta blanche ruinée par les flots d'eau, des grappes d'étudiants agrippés aux abris de bus comme des moules s'accrocheraient à un rocher à marée montante. Et toujours cette pluie qui colle mon foulard à mes cheveux et mon sarouel à mes jambes fébriles. Je cours presque sur les dernières centaines de mètres, trébuchant un peu sur ce chemin aux dalles irrégulières où j'ai toujours du mal à garder un pas régulier même à la lumière du jour. L'électricité n'est toujours pas de retour lorsque je plonge enfin dans les bras aimés, pour réaliser que je suis ruisselante de pluie, que j'ai un nombre d'ampoules sur les pieds digne d'un record, et que le frisson de cette nuit continue de résonner.

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