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lundi 31 mai 2010

Népal (4) De Kathmandou à Tansen

Comme prévu le jour du départ de Pokhara le réveil est douloureux - la journée des escaliers restera dans les mémoires et dans les corps comme un jour maudit. Heureusement donc que nous avons le confort d'un tourist bus pour aller jusqu'à Kathmandou ! Car nous voulons quand même voir la capitale plus en détails avant de crapahuter vers la frontière sud. Tous les bus touristiques entre Pokhara et Kathmandou partent du même endroit, d'où une organisation millimétrée et terrifiante : à peine sorties du taxi, un homme nous prend nos bagages, nous indique notre bus, nous fait asseoir à une table déjà occupée par un vieil Américain et un jeune Australien plus que stéréotypé (blond, bronzé, musclé, enthousiaste) et nous recommande un croissant au beurre. J'opte pour un croissant qui se révèle avoir un goût de beignet, pas désagréable... Pendant ce temps les deux hommes conversent avec leur accent réservé aux initiés. Pour ce que j'en saisis, c'est assez bizarre après un an passé en Inde d'entendre quelqu'un en parler en des termes aussi négatifs : "dirty, unwelcoming and cheating people, overcrowded". Et ce même si ces termes sonnent juste. "Some people never have enough of India". I guess I'm one of them. Durant le voyage je m'émerveille encore de la façon de conduire du chauffeur du bus, quand même assez hasardeuse - à chaque fois que j'ouvre les yeux le bus semble prêt à basculer d'une falaise, serrant le bas-côté pour laisser passer un véhicule dans l'autre sens. En contrebas les gorges profondes enserrent la rivière couleur caramel sur laquelle nous avons fait du rafting. La pause déjeûner nous donne l'occasion de goûter au daal bhat, spécialité népalaise, pas vraiment spécifique quand on connaît le thali indien, finalement. Le retour à Kathmandou s'avère plus compliqué que prévu puisque nous nous retrouvons dans une partie peu accueillante du ghetto touristique, où les chambres sont chères, sombres et peu négociables. La fin de la journée est sous le signe du shopping (il faut bien). Mon coup de cœur : les larges châles (on flirte avec la taille d'une couverture, d'ailleurs !) en laine de yak aux couleurs vives. Coup de cœur second : un pendentif en argent inspiré d'un mandala tibétain, que je négocie longuement, échoue à faire baisser à mon prix, puis reviens chercher après être sortie fièrement du magasin devant l'obstination du marchand - ce qui est contraire à la Charte de l'Excellence en Négociation à laquelle je suis fidèle depuis un an, bordel ! Bibelots divers, statues de dieux, tissus et laines, bijoux, mandalas peints à la main, rouleaux de prière, et j'en passe (et mon budget je dépasse !), s'entassent dans les rues étroites de Thamel. Ces mêmes rues deviennent extrêmement glauques après la fermeture des magasins, à peine après 19h. Le bourdonnement des négociations et la clameur de l'appel des rabatteurs s'éteignent brusquement, trouver à manger pour pas cher dans l'obscurité sale et oppressante devient une gageure, et le susurrement "marijuana" se fait entendre partout tandis qu'on voit des Blancs s'enivrer dans des bars mal éclairés. Nous finissons par dégotter des momos, quelques saucisses et du Coca et nous réfugions dans notre chambre d'hôtel - assez pour ce soir.

Reprise des hostilités touristiques le lendemain pour se remonter le moral. Direction Patan, théoriquement ville indépendante de Kathmandou mais en fait sorte de banlieue au passé historique glorieux : ville d'artisanat, ancienne capitale de rois, et si j'en crois Wikipédia, "grand centre d'enseignement bouddhique, comme en témoignent les nombreux monastères éparpillés dans la ville. Ce serait la ville bouddhique la plus ancienne d'Asie". Nous ne prenons pas le temps de revisiter les vestiges de ces siècles d'histoire mais nous concentrons sur Durbar Square, grand ensemble de temples dédiés entre autres à Vishnou.

La place est immense et encombrée de temples, de statues, d'un musée, mais le temps présent y grouille lui aussi, avec ses vitrines d'artisans, ses passants affairés - ou non, ses guides à l'empressement nauséabond. "Hey girls, do you need a guide ? - No we don't, thank you anyway ! - But yes you need a guide ! - Er... No, thanks. - I will be your guide, not expensive, follow me. - Still not. - Come on girls, what do you think ? That we have never seen beautiful girls like you ?" Je ne cherche pas à comprendre... Le seul guide dont nous acceptons les services est un gamin à l'air savant juché sur une bicyclette trop grande pour lui et qui nous détaille l'intérieur d'un temple. L'architecture de la place, conçue comme une immense conque, symbole de Vishnou, enserre de multiples monuments séparés par des cours et un bassin très ornementé où un attroupement serré recueille de l'eau dans des cruches comme on cueille une fleur rare. Le palais transformé en musée est lui aussi une merveille d'architecture, et bien conservée avec ça, là est la grande différence avec beaucoup de monuments indiens. A tel point que nous décidons de faire une entorse de plus à notre budget et de nous payer la visite du musée. Sculptures bouddhistes et hindoues correspondant à différentes périodes et à différentes techniques s'entassent dans des enfilades de pièces subtilement éclairées ; les artisans de Patan brillaient et brillent toujours apparemment pour leur maîtrise unique du repoussé (technique détaillée ici http://en.wikipedia.org/wiki/Repouss%C3%A9_and_chasing). Meilleur souvenir de cet excellent musée ? Le détail des explications sur les différents mudrâ, positions symboliques des mains dans les religions hindoue et bouddhiste, et la finesse de ces mêmes mains dans toutes les statues.

Ma dernière tâche à accomplir à Kathmandou ou plutôt Thamel-le-ghetto, c'est l'achat d'une laine de YAK et d'un couvre-lit avec un motif de mandala, deux articles convoités par moi-même depuis le début du voyage. Mais comme je sais exactement ce que je veux, jamais une couleur ne me plaît vraiment et cette chasse s'éternise au grand dam de Marine. Finalement je finis par demander à accéder à la réserve d'un des marchands pour voir TOUTES les couleurs qu'il possède. Des centaines d'étoffes s'entassent dans cet endroit confiné où je finis par trouver mon (mes) bonheur(s) ; mais vient le moment de la négociation. "1800 roupies. - What ?! - Yeah, good price for two articles. - Are you kidding me ? Anyway I'm a good customer and maybe the last one for today, you should give me a better price ! - That's my price. - 1000 roupies. - No. - 1000 roupies. - Hmrfff... 1600 roupies. - 1100 roupies. - 1500 roupies last price. - Too expensive ! - Ok 1400 roupies and you win a daal bhat ! - I don't want daal bhat I will have that tonight in my hotel. 1100 roupies". Et ainsi de suite jusqu'à : "Ok 1200 roupies and you win a tchai. But you lose daal bhat". C'est ainsi que nous nous retrouvâmes à la fermeture du magasin à boire le thé avec toute la famille du marchand.

Le lendemain s'annonçait nettement plus aventureux - non pas que des négociations ne le soient pas, mais je commence à être rôdée, héhé. Et en effet. Nous nous sommes mis en tête de nous rendre à Daman, un village perché à plus de 2300m d'altitude, dont la seule route est le dangereux Tribhuvan Highway, dans l'espoir d'apercevoir la "dramatic view" de l'Himalaya certifiée par les guides touristiques et tous les habitants. Il paraîtrait qu'il s'agit de la plus belle vue de tout le Népal sur les montagnes. Alléchant. Mais dans ce cas, pourquoi si peu de touristes s'y rendent-ils ? La réponse ne va pas tarder à arriver. Au départ de Kathmandou déjà, difficile de trouver un bus local pour se rendre à Naubise, un trou paumé faisant office de point de liaison entre quelques lignes de bus. Nous finissons par en trouver un malgré les multiples "Pas de bus aujourd'hui", "Sais pas", "Où ça ?", "Par là !", "Non par là !". "On veut aller à Naubiseeeee !". Quelqu'un finit par comprendre et nous emmène vers un minibus déjà bondé et couronné de multiples valises, paquets et cages de poulets. Le chauffeur fait déplacer deux personnes pour nous permettre de nous asseoir (pratique pour se faire apprécier... Mais ça n'a même pas l'air de les déranger et nos remerciements gênés paraissent même de trop). Nous nous installons, feuilletons le guide, échangeons des idées, nous rendons compte après quelque temps que ces coups secs, répétés et légèrement douloureux sur nos chevilles sont imputables au bec d'oies cachées sous nos sièges. Après une grosse heure de trajet on nous jette avec armes et bagages à Naubise. Quelques âmes, trois marchands de fruits, une gargote, des arrêts de bus. C'est tout. On attend. On attend. On attend. Il n'y aura pas de bus pour Daman aujourd'hui, je crois. Le monsieur attablé devant un tchai meurt d'envie de nous taper la causette, ce qu'il finit par faire quand il voit que notre attente est bien partie pour durer. Un petit jeune le rejoint et tombe amoureux de nous deux à la fois si on en croit ses regards émerveillés et son air béat quand nous parlons de l'Inde, de la France, de nos voyages. Nous tâtons le terrain auprès des quelques êtres humains du quartier et finissons par comprendre qu'il ne faut pas compter sur un bus avant au moins plusieurs heures. Dernière option : attraper un camion au vol. Ce que la tchai-walla fait pour nous, négociant même notre contribution financière. C'est parti donc pour la grande aventure dans ce monstre multicolore et vrombissant qui s'élance d'un seul coup vers les cimes : Naubise, c'est la bifurcation pour Tribhuvan Highway qui serpente dans les montagnes. Dans l'envers du décor, il est plus facile de comprendre pourquoi on dit que l'on a 20 fois plus de chances de mourir sur la route au Népal que dans n'importe quel pays développé : la route est étroite comme un couloir, les camions sont hors normes, les croisements sont extrêmement difficiles voire impossibles - il faut presque toujours que l'un des deux véhicules effectue une périlleuse marche arrière. Le chauffeur a l'œil rivé sur la route devant lui et surveille le bas-côté qui est toujours trop près et trop abrupt à mon goût ; un deuxième homme est assis à gauche de la cabine et est aussi vigilent que lui. Je finis par comprendre qu'il est en fait essentiel à la conduite en montagne, c'est lui qui surveille les virages dangereux, qui indique les différents obstacles, et surtout qui détermine si un dépassement est possible ou non. Il fait aussi signe à d'autres véhicules plus rapides que lui et souhaitant le dépasser quand la voie est libre. Comme quoi là où il n'y a pas de code de la route écrit un certain sens de la survie conduit à des attitudes de vrai bon sens. Bon, et puis la route, elle est dangereuse, mais qu'est-ce que c'est beau là-haut...

L'arrivée à Daman se fait après bien 5h de bringuebalage montagnard. Daman n'est en effet pas plus qu'un village, un petit hameau perdu à 2322m d'altitude avec un promontoire d'observation sur l'Himalaya, et avec la fraîcheur qui va avec une telle altitude. Nous créchons pour la nuit dans une grange plus que rustique, avec deux chambres à l'étage. Nous n'en occupons qu'une seule, avec un grand lit tenant à lui seul plus de la moitié de la pièce exiguë fermée par des planches humides et mal ajustées, mais attenant à un mignon balcon où nous étalons nos édredons pour profiter de la fraîcheur du soir - enveloppée dans mon yak tout neuf, dans mon cas. Bientôt la pluie battante nous empêche même de sortir pour un petit tour du village. Pas d'eau courante, toilettes rudimentaires dans le jardin, mais de l'électricité quand même. Les repas se prennent dans une autre bâtisse un peu plus haut dans le village, daal bhat à volonté servi par une dame râblée et charmante. Pour ce qui est de la vue incroyable sur les montagnes, pour tout dire, c'est totalement raté : les montagnes sont noyées dans les nuages de mousson au point qu'on n'aperçoit que les premières collines en contrebas. Alors le voyage aura compté plus que la destination...

Nous devrions être déçues d'avoir fait tant de chemin, et un chemin si difficile qui plus est, pour seulement apercevoir des nuages de mousson. Mais nous ne le sommes pas. Sans doute pour l'expérience unique de voyager en camion suspendu dans les montagnes et de revenir aux charmes de la vie rustique pour une nuit. C'est le lendemain que les choses sont plus pénibles, quand il faut redescendre en poursuivant Tribhuvan Highway par l'ouest, vers Tansen, en passant par Hetauda et Butwal, effroyables villes-relais aggressives et bruyantes. A Hetauda, nous sommes coincées pendant des heures pour attendre notre correspondance, dans la chaleur retrouvée du Teraï. A Butwal, trop retardées, nous sommes contraintes de passer la nuit. Une arrivée en pleine nuit dans une ville étrangère n'est jamais une expérience rassurante. Mais à Butwal, ça s'approche du cauchemar étouffant. Troupeau insistant de rabatteurs à la sortie du bus ; poids des sacs à dos après des heures de voyage ; longueur de la route encombrée même la nuit qui longe les hôtels aux pancartes criardes mais aux chambres manifestement vides ; hôtels aux portes déjà cadenassées pour la nuit ; chambres sales, sombres, confinées ; prix élevés ; pas une femme, des hommes, tous ces hommes, et leurs regards ; les cafards dans la salle de bains ; la nourriture épouvantable, et la coupure d'électricité pendant le repas, et les regards entendus qui pèsent sur nous. Nous partons le lendemain sans demander notre reste, ou plutôt en demandant l'horaire du premier bus pour Tansen, que par le plus heureux des hasards nous attrapons au vol à peine sorties de l'hôtel. On dirait bien que tout nous incite à quitter Butwal ! Direction Tansen donc, ville qui ne va pas tarder à devenir mon endroit préféré au Népal.

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