Et maintenant, je suis ici :

mardi 28 juillet 2009

Je ne sais plus rien

Je n’en ai pas parlé plus tôt car je ne voulais ni inquiéter ma famille et mes amis ni donner une image trop négative de l’Inde aux éventuels passing by readers, mais vraiment, les deux premières semaines ont été dures. Très dures. Trop dures ?

D’abord, parce que l’Inde vous prend aux tripes, dès l’arrivée, sans préavis. Vous la portez au corps pendant toute la durée de votre séjour, et je suppose que même après le retour dans votre pays d’origine il faut un moment pour retrouver une certaine sérénité. Cette sorte de diable qui m’habite depuis mon arrivée à Delhi dans la nuit du 8 au 9 juillet ne forme pas que des intentions négatives ; mais il m’impose sa volonté avec force et violence. Et sous sa juridiction il m’a prise body and soul.

Tout a commencé à l’arrivée à l’aéroport de Delhi. Ou même peut-être un peu avant, quand je suis entrée dans l’avion à Londres et que je me suis retrouvée seule Occidentale au milieu de dizaines d’Indiens rentrant au pays, Sikhs enturbannés, Indiens occidentalisés munis de multiples gadgets, femmes aux bracelets tintant doucement, enfants sages parlant déjà plusieurs langues, hôtesses de l’air au maquillage extrêmement sophistiqué, un peu abusif, aux postures et au sourire étudiés… Mais le long voyage de dix heures entre Londres et New Delhi a agi comme un sas de décompression, une longue parenthèse où rien n’est vraiment ni européen ni indien, juste une saveur indéfinissable où tout se mélange. Alors cette fois je peux dire que c’est vraiment à l’aéroport indien que tout a commencé. Comment ne pas se sentir perdu devant ces files interminables d’attente pour la validation rigoureuse des papiers officiels, ces panneaux en hindi et en anglais (mais surtout en hindi), ces multiples rabatteurs cherchant à amener les nouveaux touristes dans des taxis et des hôtels où ils touchent des commissions ? Heureusement j’ai été largement guidée par un Indien très sympathique que j’ai rencontré dans l’avion, et qui ne m’a pas lâchée jusqu’à ce que j’aie rejoint Pierre, qui arrivait par l’avion suivant, et que nous ayons pris ensemble un taxi vers l’auberge de jeunesse. Après ça, ce guide improvisé (avec qui j’ai gardé contact depuis… J’espère pouvoir aller lui rendre visite au Penjab, un peu plus tard dans le semestre) nous a quittés, et là la vraie plongée dans la société indienne a eu lieu.

J’ai préparé ce voyage, et je suis partie en Inde en sachant très bien que je n’avais en aucun cas fait un choix facile. Je savais que je perdrais mes repères, que je me sentirais seule, que je verrais des choses terribles. Mais en aucun cas je n’étais préparée à ça. Je pensais sans doute que, de même que les côtés négatifs me sauteraient à la gorge, les côtés positifs se montreraient immédiatement. Mais pour un Européen hors circuit touristique, qui cherche à s’installer pour un certain temps, ce n’est pas le deal. Le démon dont je parlais tout à l’heure a décidé qu’avant de pouvoir respirer et vraiment vivre l’Inde, il fallait traverser un petit bout d’enfer. Et ici, l’enfer, c’est la rue. Ces rues où grouillent des milliers d’âmes et de carcasses métalliques, où se superposent tous les niveaux de vie dans un concert incessant et assourdissant de klaxons, de cris, de plaintes, de rires. Se déplacer est un vrai casse-tête. Au bout de quelques jours on se rend compte des proportions de la ville et on réalise qu’aller d’un quartier à un autre de la ville à pied prend au minimum une demi-heure. Dans les rues, on tombe régulièrement sur des mendiants et des intouchables aux conditions de vie à faire pleurer une momie desséchée. Je ne compte plus le nombre de personnes mutilées que j’ai vues claudiquant sur le bord de la route dans l’espoir de récolter quelques peisas (centimes). Les enfants qui se collent aux vitres des taxis ou viennent toucher les pieds (signe de respect) des touristes dans les rickshaws ont à peine 3 ou 4 ans, et ils ont passé toute leur vie dans la rue. Il y a quelques jours j’ai aussi vu mes premières vaches sacrées sur le bord de la route, le long des trottoirs défoncés que des gens très pauvres, parmi lesquels une majorité de femmes - how surprising - passent leurs journées et leurs nuits à réparer, sans que l’on voie un grand changement. Ici, à New Delhi, il y a aussi énormément de chiens errants, mais qui sont trop occupés à chercher quelque nourriture pour attaquer les passants. Ca, c’est pour la couche de population qui vit dans la rue. Mais bien sûr on ne trouve pas qu’eux : la rue est une espèce de complexe théâtre où plusieurs troupes jouent sur la même scène mais sans partager la même histoire. Alors on trouve aussi des Indiens très riches, souvent habillés à l’occidentale, se déplaçant dans de grosses voitures aux vitres fumées et avec la climatisation. Et puis, il y a moi, la Française, encore un peu perdue, encore un peu habillée à l’européenne. Tous les regards sont braqués sur moi, ceux des hommes sont extrêmement insistants. Je suis à la fois la figure de l’étranger et celle de la femme exotique. Je dois m’habituer à toujours être considérée comme une étrangère, et être dévisagée des pieds à la tête, les regards s’attardant désagréablement sur toutes les courbes de mon corps.

Et puis aussi, je dois tout réapprendre. Ici, je ne sais plus communiquer. L’anglais suffit à peine car seule la classe aisée le maîtrise véritablement. Pour se faire comprendre des rickshaws-wallas c’est une autre affaire ! Je ne sais pas manger, non plus : au restaurant je suis décontenancée par les plats qu’on me sert, à la petite supérette du coin je ne sais pas quoi acheter. Je ne sais pas comment payer, je ne sais pas comment être respectée. Je ne sais même pas traverser une rue !

C’est pour ces raisons que deux univers s’opposent et s’équilibrent : la Rue et l’Intérieur. La Rue, c’est la jungle, le danger, l’étouffement. L’Intérieur, c’est un appartement, avec de l’espace, de l’air (parfois la clim), un monde à soi. Une bulle, un aquarium. Dans cet aquarium, l’eau c’est la climatisation, les autres poissons sont des personnes parlant la même langue. Car pour l’instant, par instinct de survie, je reste plutôt avec des Français. Je me suis fait quelques amis à l’auberge de jeunesse la première semaine, mais comme les gens sont de passage il n’est pas facile de garder contact. Par contre, les Français que j’ai rencontrés à l’ambassade vont rester plus longtemps, et surtout ont traversé, traversent, ou vont traverser les mêmes problèmes que nous. Le plus gros problème, c’est le logement. N’importe quel Français pensera qu’en Inde les loyers sont très bas. C’est faux. Surtout à Delhi. Il nous a fallu presque deux semaines pour trouver un logement décent avec le budget dont nous disposions, considéré comme « very low » : nous proposions 300€ par mois, chacun. Au début je voulais habiter sur le campus de JNU ; après avoir visité quelques chambres, et après mûre réflexion, je me suis dit que je serais incapable de survivre une année en vivant là-bas. Alors je me suis tournée vers l’option « appartement en colocation ». Pas évident ici, surtout pour des Français, qui ne sont pas des locataires très appréciés ! J’ai quand même fini par trouver, après plusieurs retournements de situation, dont un changement de colocataire et deux changements d’avis de dernière minute. J’habite désormais avec deux Françaises dans un petit appartement au sud de Delhi. L’une, Marine, est étudiante en relations internationales à JNU aussi, et l’autre, Justine, fait partie des stagiaires de l’ambassade de France. Notre appart, ce n’est vraiment pas le Ritz, d’autant que nous n’avons pas de meubles (héhé, espérons que ça viendra, dès qu’on aura un peu de sous !), mais c’est propre et nous avons une « maid » qui vient tous les jours pour le ménage et la lessive. Eh oui, c’est normal ici… Il ne faudra pas que je m’habitue trop à ce genre de confort !

Enfin bref, that’s it, je suis installée, et enfin le démon peut me payer mon dû, le côté positif de l’Inde. Enfin je vais pouvoir commencer à visiter Delhi, la cité moghole, puis à étendre mes pérégrinations en dehors de la capitale. Egalement, un apport non négligeable, nous avons fait installer Internet, et je vais pouvoir communiquer avec la mère patrie ! Et enfin, je vais pouvoir commencer sereinement le semestre, en oubliant tous mes problèmes administratifs des dernières semaines, en sachant que le soir, j’ai mon refuge, mon petit chez moi, ce monde à part où je peux me ressourcer quelques heures avant d’à nouveau m’élancer dans l’Inde éternelle, l’Inde étouffante, l’Inde omniprésente.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire