Et maintenant, je suis ici :

dimanche 19 juillet 2009

Old Delhi part 1 : चाँदनी चौक (Chandni Chowk)

Après presque deux semaines de recherche d’appart aussi assidue qu’infructueuse, l’envie nous prend d’être les plus communs des touristes et de découvrir Delhi de l’intérieur. Quelques minutes (heures ?) de palabres plus tard (il faut dire que vu la chaleur, la fin de l’après-midi arrive soudain avec une grosse vague de flemme), nous voilà embarqués dans un rickshaw en direction de Connaught Place, une espèce de gros (très gros) rond-point en plein centre de la ville. Petite précision en passant : un rickshaw est conçu pour deux ou trois passagers, au-delà ça devient compliqué ; et nous sommes 4, donc je suis assez inconfortablement installée sur les genoux d’un des gars, mes jambes coincées dans la barrière métallique de devant… Mais nous sommes loin de faire là une performance vraiment intéressante : le record est détenu par des gens de l’ambassade de France, avec 11 personnes sur un seul rickshaw !

Mais revenons à nos papillons. Le Old Delhi, la vieille ville moghole, est situé au nord de la ville. Alors nous décidons d’en profiter pour faire une partie du voyage en métro. Ah, ce métro ! Il n’a rien à envier aux métros les plus modernes de chez nous, la sécurité en plus. A l’entrée, on est fouillé comme dans un aéroport ! Avec d’ailleurs pour la fouille deux files séparées, hommes d’un côté, femmes de l’autre, parce qu’il faut pas déconner ! Tout est propre, bien indiqué, climatisé, résolument moderne. Mais, surprise, le prix des tickets est variable selon le nombre de stations parcourues. Réalité durement apprise, après être restés coincés à la sortie d’une station parce que nous étions allés plus loin que prévu à l’origine…

A Chandni Chowk, les portes battantes de la station de métro s’ouvrent et se referment dans un bruit mat, et soudain le vieux quartier populaire apparaît, sans transition, dans toute sa folie. On m’avait dit que la rupture entre New Delhi et Old Delhi était très claire, mais connaissant le joyeux bordel de New Delhi je me demandais bien comment ça pouvait être pire… Alors imaginez des ruelles extrêmement étroites où se bousculent marchands pressés, porteurs, prêtres, mendiants, chiens errants, singes aussi… Ici, la pauvreté saute aux yeux. Elle n’est pas pudique comme à New Delhi, elle s’affiche partout. Des bandes de gamins galeux, des lépreux exhibant leurs moignons, des vieilles femmes - sans doute des veuves - réclamant de quoi manger, des familles entières dormant le long des trottoirs… L’étranger doit faire face à cette cruelle réalité, suffisamment choquante d’ailleurs pour que je comprenne pourquoi de nombreux touristes en Inde ne supportent pas cet aspect du pays et repartent avec une image extrêmement négative. Jamais l’injustice n’a été aussi poignante, ni l’impuissance aussi amère. Je ne montrerai pas d’images de cette pauvreté-là. Refuser de la regarder dans les yeux est lâche. En prendre des photographies est carrément indécent.

En dehors de cette pauvreté, l’impression principale est qu’ici, la place a toujours manqué, mais que plutôt que de s’installer ailleurs, les habitants ont préféré entasser, serrer, compresser, ajouter. Le neuf sur le vieux, dans le vieux. Il n’y a pas assez de place sur les murs pour toutes les pancartes publicitaires, mais qu’importe, on en ajoute encore et encore. Les entrées des boutiques sont minuscules et donnent sur un réduit tout en longueur dans lequel s’entassent des tonnes de marchandises à négocier avec le marchand alangui sur un fin matelas au fond de son magasin, le plus souvent profitant de la clim. Et des marchands, ici, il n’y a que ça. Chandni Chowk n’est pas seulement le quartier populaire, c’est aussi un des plus immenses bazars de la ville. C’est un incroyable labyrinthe de ruelles sombres et étroites, une fourmilière géante dont les lois échappent à l’étranger. Mais c’est tant mieux : c’est en perdant ses repères qu’il s’égare au cœur du bazar, et il n’y a rien de mieux que de se perdre dans ces ruelles pour faire connaissance avec le quartier. En comparaison, la caverne d’Ali Baba paraît bien insignifiante : ici, c’est le quartier entier qui répond à la définition de caverne aux merveilles. La lumière ne provient pas des rues, fort mal éclairées, avec à peine quelques lanternes et surtout des tonnes de fils électriques s’enchevêtrant du haut des maisons jusqu’au niveau de la rue ; elle provient de l’intérieur des magasins. Elle se revêt de centaines de couleurs en passant à travers les amoncellements de bijoux, de tissus, de fruits, d’ustensiles divers. Chaque rue de Chandni Chowk est apparemment spécialisée dans la vente d’un seul type de marchandises : dans celle-ci on trouvera exclusivement des livres, dans celle-là seulement des bijoux, dans celle-là encore juste des tissus… J’ai ainsi parcouru une ruelle entière où je n’ai vu que des sachets de perles multicolores ! Ce quartier est à l’image de l’Inde, hétéroclite, multicolore, mais aussi un peu suffoquant. Le jaune orangé des papayes, le rouge et or des saris de mariée, les colliers de fleurs blanches et oranges pour les offrandes des temps, le noir bleuté des yeux des marchands indiens, et cette atmosphère empesée, cette nécessité de boire continuellement pour ne pas se dessécher…

Parfois, ces ruelles exiguës débouchent sur un espace dégagé, et on se retrouve soudain face à un monument important. Nous avons en particulier visité un grand temple sikh dont les grandes coupoles d’or dominent une des places principales de Chandni Chowk. Si j’ai bien compris, il se dresse à l’endroit où un des gourous fondateurs du sikhisme a été martyrisé. Le sikhisme est une religion bien mystérieuse pour un spectateur européen, et je ne me risquerai donc pas, pour l’instant, à tenter d’en expliquer la doctrine. Je me contenterai de dire que c’est une des religions minoritaires d’Inde, qui compte néanmoins des millions d’adeptes, ayant pour point commun de s’appeler Singh (« lion »), de porter un turban ou un chignon sur le haut du front, ainsi que plusieurs autres signes distinctifs. Leurs temples sont particulièrement fastueux, comme me le montre la visite de celui-ci. Avant d’entrer, je dois retirer mes chaussures et les déposer à la consigne, puis purifier mes pieds, mes mains et mon visage avec de l’eau. Je dois aussi, comme tous les autres, couvrir mes cheveux avec au moins un morceau de tissu (fourni à l’entrée pour les rares touristes). Il faut encore passer par une espèce de bassin (qu’Arthur, devant l’aspect peu engageant de l’eau, appelle « le bac à champignons ») avant d’emprunter le grand escalier menant à la salle de prière. Là, un gourou scande la prière qui est diffusée à travers des haut-parleurs. De multiples ventilateurs de plafond permettent d’entretenir une atmosphère respirable. La salle de prière est bondée ; apparemment, les fidèles peuvent rester plusieurs heures assis en tailleur à écouter le gourou, et nous sommes les seuls étrangers. A l’étage, en passant par un long escalier en colimaçon, on trouve de multiples petites salles où, seuls, des prêtres ou des fidèles, dans le plus grand recueillement, lisent le Guru Granth Sahib, le livre sacré. Pour le reste, il faudra que j’éclaircisse dès que possible plusieurs mystères concernant les rituels appliqués dans l’enceinte du temple, il y a pour l’instant pas mal de choses qui me dépassent !

Nos pérégrinations nous conduisent aussi, à travers les minuscules ruelles, dans un temple jaïn, qui n’a pas grand-chose à voir avec le précédent. Celui-là, nous l’avons vraiment découvert par hasard, car aucun panneau ne l’indiquait, et il ne se trouve pas dans un espace dégagé mais à la nervure d’une ruelle très sombre (je ne sais d’ailleurs même plus ce que nous faisions là-dedans… Sans doute l’appel jaïn !). L’enfant qui nous accueille à l’entrée du temple a la gale, mais il a le sourire le plus radieux que j’aie jamais vu. D’ailleurs il se marre pas mal en voyant que nous commettons la bourde de rentrer dans le temple avec nos chaussures aux pieds et notre montre au poignet : « forbidden, forbidden ! ». Une cloche tinte continuellement dans la salle de prière, et quelques hommes chantent devant une statuette de dieu couronnée de fleurs. Un chant puissant et enjoué, qui retentit à travers les voûtes du temple. Apparemment, n’importe qui peut venir prier ici, quelle que soit sa religion, à condition de respecter certaines règles : poser ses chaussures, poser également tout appareil électronique, toute nourriture, toute montre, à l’entrée. C’est aussi interdit aux femmes en période de menstruation. Les garçons, intrigués par ce temple, finissent par accepter la proposition d’un prêtre de leur faire visiter l’édifice, contre rétribution bien sûr, et dans un anglais vraiment approximatif ! Pendant ce temps Justine et moi gardons toutes les affaires qu’ils ont dû déposer en entrant. Nous ne restons pas longtemps en tout, et préférons retourner nous perdre dans les ruelles de Chandni Chowk, où la nuit et la fermeture des échoppes nous surprennent. Nous décidons de manger chez Karim, un restau musulman très renommé et pas cher. Encore une fois, nous sommes parmi les très rares étrangers (ce n’est décidément pas la saison touristique !), mais l’accueil est chaleureux et la nourriture excellente. A ce moment-là, nous ne savons plus bien où nous sommes. Alors, pour sortir du bazar après le repas, reste la solution du cyclopousse (l’auto-rickshaw n’est pas vraiment autorisé à circuler ici, de toute façon il y resterait coincé !). On ressent comme un pincement au cœur quand on voit l’effort que doit fournir le conducteur pour faire avancer son engin, chargé comme il est… Pincement largement compensé par son sourire en recevant son dû à la fin du voyage.



Justifier

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire